Les disques classiques et lyriques du mois d’octobre
Octobre a été studieux et nous avons écouté bien des albums classiques et lyriques à la Rédaction pendant les douces heures d’écriture. Voici ceux qui nous ont le plus Fasciné/ intrigué/ choqué / décontenancé / fait voyager…
Par Victoria Okada et Yaël Hirsch
Bach un jour, Bach toujours
Bach est “Unlimited” pour la pianiste française Lise de la Salle qui pose joliment dans les rouages de la Tour Eiffel pour son nouvel album qui étire le fil de la tradition de Leipzig à Paris et jusqu’à nos jours avec le concerto italien de Bach (où la pianiste marque de manière très forte les changements de rythmes) puis de Busoni (très longue transcription de la Chaconne BWV 1004), Liszt (la fameuse Fantaisie sur les lettres du noms de B-A-C-H), Roussel, Poulenc et les trois éphémérides très libre de Thomas Enhco. Un disque en lévitation dans le temps sur les super-pouvoirs toujours réaffirmés de Jean-Sébastien Bach. A noter : un concert de lancement du disque est organisé au profit de l’association Coline en Ré samedi 25 novembre 2017 à 17h. Lise de la Salle, Bach Unlimited, Naïve, Sortie le 20 octobre 2017, 15,90 euros. YH
French Touch
Quatuor Arod, Mendessohn passionnément
On assiste depuis quelques années un renouveau d’interprétation des œuvres de Mendelssohn. En 2013, le disque avec des quatuors de Fanny & Felix Mendelssohn que le Quatuor Ebène a sorti a provoqué un petit choc ; la conception d’une musique « bourgeoise » qu’on adoptait communément pour ce compositeur a été bouleversée, révélant un côté tragique et hautement théâtral. Aujourd’hui, le quatuor Arod donne sa propre vision sur les op. 13, 44-2 et 81, tout aussi vivifiante et énergique, pleine de passion. Cela sonne parfois comme du Beethoven ! Un tempérament fougueux, du sang qui bout sous la peau, une colère retenue… Voilà quelques images qui évoquent cet enregistrement. A la fin, un cadeau inattendu : Frage (Question), avec la mezzo-soprano Marianne Crebassa. La pièce cite textuellement le début du 2e mouvement de la Sonate « Les Adieux » de Beethoven, sur les mots « Ist es wahr ? » (Est-ce vrai ?). La présence de cette courte pièce est significative pour le lien que l’on peut établir entre la musique de Mendelssohn et l’interprétation beethovenienne qu’offrent les Arod. Quatuor Arod, Mendelssohn Op. 13, Op. 14 n°2, Quatre Pieces Op.84, Lied n°1 ‘Frage’ Erato, 77’17. VO
Les 20 ans du quatuor Psophos.
Ils jouaient le 7 octobre pour la Nuit Blanche à la Philharmonie et on les retrouvera le 7 décembre aux Invalides puis dans un répertoire jazzy les 8, 9 et 10 décembre au Bal Blomet. Premier quatuor français sélectionné de la prestigieuse New Generation Artists de la radio BBC 3 à Londres, les Psophos célèbrent cet automne leurs 20 ans avec un album tout en couleurs et en subtilités de nuances. Avec un programme Ravel, Debussy, Dutilleux, leurs Constellations fascinent à la française. Vifs dans Ravel (Quatuor en Fa), mystique dans Dutilleux (“Ainsi la nuit”), Eric Lacrouts (Violon), Bleuenn Le Maître (Violon), Cécile Grassi (Alto) et Guillaume Martigné (Violoncelle) réservent tout leur romantisme à Debussy (Quatuor en Sol). On n’ose crier Cocorico, la note n’est pas assez chic, mais on n’en pense pas moins.
Quatuor Psophos, Constellations, Klarthe, 15 euros. YH
Lucienne : pot-pourri d’airs et de mélodies connus à la trompette
Lucienne Renaudin Vary souffle le vent frais pour cet instrument dont les interprètes masculins dominent. « Révélation » dans la catégorie classique aux Victoires de la musique en 2016, cette trompettiste de 18 ans a un sens naturel du chant. Elle a en effet commencé par chanter, puis, « Souffler dans l’instrument a été aussi naturel que de chanter », dit-elle. Dans son premier disque solo chez Warner, on peut donc entendre tout naturellement des airs d’opéras et des mélodies, comme Les filles de Cadix de Delibes, Barcarolle des Contes d’Hoffmann d’Offenbach, Over the Rainbow de Harold Arlen, Summertime de George Gershwin, Après un rêve de Gabriel Fauré, My Funny Valentine de Richard Rodgers et bien d’autres. Elle est accompagnée de l’Orchestre national de Lille sous la direction de Roberto Rizzi Brignoli, et joue avec des invités : Erik Truffaz (trompette), Christophe Dumaux (contre-ténor) et Rolando Villazon (ténor). De ce petit pot-pourri suivra, on espère vivement, un enregistrement plus conséquent comme le fameux concerto de Haydn !Lucienne Renaudin Vary, The Voice of the Trumpet, ONL, ROBERTO RIZZI BRIGNOLI, 13/10/2017, 71’59. VO
Cool Memories
L’accordéoniste italien Claudio Jacomucci signe son premier disque entièrement consacré à ses compositions. Le CD comprend six œuvres, dont Cool Memories, pour accordéon et sons prêts-enregistrés. C’est un hommage à Jean Baudrillard, philosophe, sociologue et photographe français et les mouvements de cette suite se réfèrent à des écrits du philosophe. Son épouse, Marine Baudrillard dit que l’esprit de son mari est bien là. Il est tout à fait étonnant que l’accordéon puisse produire autant de sons très différents que l’on n’aurait même pas pu imaginer avant d’écouter ce disque. Bravo à Claudio Jacomucci pour ses œuvres ingénieuses. Claudio Jacomucci, Cool Memories, Italian accordion Academy, 59’45 VO
Jumala : Deuxième volet du triptyque après La Nuit dévoilée
Le chœur Mikrokosmos, dirigé par Loïc Pierre, projette la présentation d’un grand triptyque intitulé L’Origine du monde, pour les 30 ans du chœur en 2019. Après la Nuit dévoilée, le 1er volet créé en 2013, il livre le 2e volet, Jumala, faisant la part belle au musiques incantatoires, de compositeurs nordiques de nos jours. Jumala est le dieu de la mythologie scandinave toujours représenté par un chêne. Le spectacle — car il s’agit d’un véritable spectacle, avec une mise en scène ingénieuse — utilise des percussions, toutes les pièces s’enchaînent les unes après les autres pour former un ensemble choral continu. Les œuvres chantées ont été composées de 1979 à 2017, sauf la méodie traditionnelle norvégienne Jeg ser deg, O Guds Iam. Incantatoires, certes, mais certaines pièces possèdent des rythmes joyeux. Les chanteurs vous envoûteront par leurs voix à tempérament mystique. Mikrokosmos, Jumala, Ad Vitam, 48’16 VO
Voyages Hispaniques
Espagne poétique et populaire de Federico Mompou
Federico Mompou fait partie des compositeurs qu’on redécouvre depuis quelques années. Dans ses Cançons y Danses, les airs populaires catalans sont sublimés par des harmonies poétiques qui mettent des mélodies en valeur. De sa première écoute de ces « chansons » à la radio, un jour de son enfance, Luis Fernando Pérez garde un souvenir inoubliable : « Inconnue pour moi, si merveilleuse, pleine d’harmonies uniques, de sonorités mystérieuses, de couleur, de sensualité, de “swing”, de liberté de cloches… et imprégnée d’une vérité que seule possède la musique populaire. C’était Federico Mompou qui interprétait Cançons y Danses ! » Pour le pianiste, ces pièces constitue le legs le plus important de la musique pour piano de Mompou. Depuis cette première écoute, Luis Fernando Pérez a digéré la partition et dévoile ici sa version, plein de poésie et d’harmonie. Le programme est complété par Paisajes, Scènes d’enfants et Música callada, toujours de Mompou. Luis Fernando Perez, Federico Mompou, Oeuvres pour piano. Mirare : MIR 364, 80’. VO.
Invitacion – Pour son troisième album le duo Intermezzo, constitué par la pianiste Marielle Gars et de l’accordéoniste Sébastien Authemayou nous proposent de partir à la découverte de musiques d’Amérique latine (Argentine, Cuba, Mexique, Brésil). On trouve du Villa-Lobos et du Piazzola sur cet album, ainsi que de la Bossa dd Antonio Carlos Jobim, et l’on découvre aussi l’argentin contemporain Saúl Cosentino, le cubain Ignacio Cervantes (1847-1905). Duo Intermezzo, Invitacion, Klarthe, Sortie le 6 octobre. YH
Besame Mucho – Un vent latino souffle sur l’Ensemble Contraste et l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège dirigés par Johan Farjot. Et les 7 compères de l’orchestre osent le titre phare “Besame Mucho” de Consuelo Velazquez où Noëmi Waysfeld, la soprano est très à l’aise en crooneuse. Mais le voyage commence dès la première plage avec une version très planante du Libertango de Astor Piazzola. Ajoutez d’autres hits de maître argentin (Oblivion, Milonga en ré), quelques airs plus populaires remontés de la pampa pas l’esprit philharmonique (“El choclo” de Viollodo), un petit “Youkali” bien placé de Kurt Weill, un daddy de Marilyn hollywoodien et une création mondiale de Karol Beffa, une “Plaza Mayor” parfaitement schmalzig, intense, cinématographique et portena, et vous obtenez un album coloré et très agréable. Ensemble Contraste, Orchestre Philharmonique Royal de Liège, Johan Farjot, Besame Mucho, Aparté, 15 euros, sortie le 27 octobre 2017. YH
Un peu de Baroque
Une diva nous fait réviser nos classiques.
Dans son nouvel album, la contralto Nathalie Stutzmann redonne feu et flamme aux airs antiques de Parisotti. Compositeur et musicologue ayant travaillé auprès de Santa Cecilia et du Vatican Alessandro Parisotti (1853-1913) a compilé un manuel de Arie Antiche des 17ème et 18ème siècle que tous les chanteurs ont travaillé. Nathalie Stutzmann et son Orfeo 55 revisitent ce répertoire pour le faire sonner comme aux temps antiques ce florilège habite par la foi (“Vergin, Tutto Amor” de Durante), la fougue d’un cœur déchiré (le “ah mio cor, schernito sei” de Handel), la patience de l’amant
(une version langoureuse du “Sei tu m’ami” de Parisotti ) et la délicatesse de l’amante (“Plaisir d’amour de). Les plages instrumentales suivent avec émotion la voix de la divine contralto (notamment un adagio de la Sonate A3 op 2/3 de Porpora). Et l’ensemble qui se termine sur un lamento magnifique (“Sebben Crudele” de Caldara) est une magnifique architecture baroque en hautes eaux. Nathalie Stutzmann, Orfeo 55, Quella Flamma, Erato/Warner. YH
Les meurtriers du temps passé. Les tumultes du 17e. Révélés et primés par le Festival d’Abronay en 2015, le duo Repicco,composé de la violoniste Kinga Ujszászi et du luthiste et guitariste Jadran Duncumbque, sort “Assassini , Assassinati”, qui interroge à deux instruments un répertoire brûlant du 17e siècle. Un beau disque couleur rouge et feu où l’on découvre la passion et le danger d’oeuvres signées par des compositeurs assassins ou assassinés dans un climat à la Borgia ou la Medicis : Albertini, Stradella, Mealli, Marini et Castaldi. Une très jolie découverte qui ouvre vers une Italie moins connue mais fatalement attirante. Duo Repicco, Assassini , Assassinati, Ambronay 20 euros. YH
visuels : couvertures de disques