
A Genève, l’Orchestre de la Suisse romande a cent ans cette semaine. Célébrations
Comme si Ernest Ansermet, au moment où il composait la formation qu’il allait diriger, avait miraculeusement pressenti que la Grande Guerre allait enfin s’achever, c’est le 30 novembre 1918, dans une Genève francophile qui venait elle aussi de participer à la liesse de l’Armistice, que l’illustre chef suisse (né un 11 novembre) pouvait donner son premier concert à Genève. Avec cet orchestre qui allait devenir célèbre dans le monde entier sous le nom d’Orchestre de la Suisse Romande.
Un grand orchestre pour deux petites républiques
La Suisse francophone n’avait jusqu’alors jamais possédé de formation symphonique de haute volée, même si à Genève la vie musicale était déjà relativement riche, ne serait-ce que par l’existence du Grand-Théâtre et de ses saisons d’opéra.
Né à Vevey, mais bientôt genevois d’adoption, Ernest Ansermet, par ses fonctions de chef d’orchestre auprès des Ballets Russes de 1915 à 1925, s’était fait connaître dans toute l’Europe aussi bien qu’aux Amériques, alors que la compagnie de Serge de Diaghilev était en pleine gloire malgré les vicissitudes et les errances de la guerre. Auréolé de cette réputation qu’il s’était forgée par son talent et son intérêt pour un nouveau répertoire, Ansermet était assurément la figure idéale pour monter une formation « romande », soutenue par les deux principaux états francophones de la Confédération helvétique, la République de Genève et celle du Pays de Vaud avec à leur tête leurs deux capitales, Genève et Lausanne.
Un répertoire novateur, voire avant-gardiste
La figure idéale encore pour imposer un répertoire alors novateur, sinon d’avant-garde, celui véhiculé par les Ballets Russes, et où se comptaient des compositeurs aujourd’hui aussi imposants que Borodine, Rimsky-Korsakov, Moussorgsky, Balakirev, Stravinsky, Prokofiev, Debussy, Dukas, Ravel, Satie, Milhaud ou Auric, Richard Strauss ou Florent Schmitt, Respighi ou Manuel de Falla. De grands noms qui contribuèrent à établir l’identité de l’OSR durant tout le XXe siècle et dont Ansermet avait créé lui-même des ouvrages comme « Le Tricorne » de Manuel de Falla, « Chout » de Prokofiev, « L’Histoire du Soldat », « Pulcinella », « Renard » ou « Les Noces » de Stravinsky, sans compter, bien plus tard, les créations du « Viol de Lucrère » de Benjamin Britten ou de nombreux ouvrages du compositeur genevois Frank Martin.
Un demi siècle à la tête de son orchestre
Certes, Ansermet avait voulu une institution pérenne et il put la voir évoluer, après l’avoir conduite sur les chemins de la gloire, jusqu’au moment de sa mort en 1969, donc un demi-siècle après sa création. Mais pouvait-il se douter qu’après lui, tout en maintenant haut le flambeau, de nombreux chefs, et non des moindres, allaient lui succéder ? Et qu’aujourd’hui, en novembre 2018, avec ses 112 musiciens, l’Orchestre de la Suisse Romande, grande formation européenne, fêterait son premier centenaire ? Un premier centenaire, ainsi nommé pour laisser entrevoir qu’il devrait bien heureusement en avoir d’autres.
La renommée internationale d’Ernest Ansermet, décuplée encore à Genève qui n’avait jamais connu une telle gloire musicale à l’exception de grands musiciens de passage, cette renommée fit que pour occuper son poste on ne pouvait décemment choisir que des chefs d’envergure. C’est ainsi que Paul Klecki, Wollfgang Sawallish, Horst Stein, Armin Jordan, Fabio Luisi, Pinchas Steinberg, Marek Janowski, Neerne Järvi, Kazudi Yamada et Jonathan Nott aujourd’hui, furent tour à tour chargés de maintenir la réputation de l’Orchestre de la Suisse Romande qui connut en outre une multitude d’autres chefs à sa tête, que ce soit lors des innombrables concerts donné durant les cent années qui viennent de s’écouler ou les multiples spectacles lyriques qui sont aussi à la charge de l’OSR au Grand-Théâtre de Genève. De Ravel par exemple, l’OSR, grand spécialiste de musique française, donnait encore tout récemment une interprétation remarquable de la deuxième suite de « Daphnis et Chloé » sous la conduite sensible et colorée de Julien Leroy, suite accompagnée de la « Pavane pour une infante défunte », des deux Rhapsodies pour violon et orchestre de Bela Bartok et d’une fantaisie musicale de Stravinsky, très rarement jouée, titrée « Feux d’artifice ».
`Les concerts de l’Abonnement
Dans le cadre doré, surchargé, mais cependant magnifique et infiniment séduisant du Victoria Hall, une salle de concert de 1600 places édifiée dans les années 1890, les concerts de l’Abonnement assurés par l’OSR ont formé en un siècle des générations de mélomanes. C’était, c’est encore une institution à Genève, le lieu de rencontre d’une bonne société, cultivée et mélomane, et des innombrables musiciens qui travaillent dans la cité lémanique. Une institution où l’on a le plaisir, devenu plus rare en France, de se retrouver dans un entre-soi qui peut sans doute paraître étouffant quand on vit à Genève, mais qui offre un charme certain quand on y revient par intermittence.
Car ce n’est pas dans ce cadre préservé qu’on verra des barbares applaudir abusivement entre les mouvements d’un concerto, d’une symphonie ou au cours d’une série de lieder, comme cela se voit de plus en plus souvent lors des concerts donnés à l’Opéra ou à la Philharmonie de Paris. A Genève, comme à Londres, à Vienne ou à Berlin, le public possède une culture musicale et un sens des conventions qui lui épargnent ce genre de comportement rustique. Et la richesse du répertoire offert au Victoria Hall par l’OSR ou les orchestres invités n’a rien à envier à celui des plus grandes capitales. Bientôt cependant, le pompeux bâtiment, édifié dans le style Beaux-Arts pour la façade, mais d’esprit Second Empire pour la salle, et qui a été restauré à grands frais à la suite d’un incendie criminel survenu en 1984, va être abandonné par l’OSR qui sera abrité dans des constructions et une salle de concerts vastes et modernes situées non loin du Palais des Nations Unies. Car Genève est prise depuis quelques années par une incroyable frénésie culturelle qui s’est enclenchée avec la restauration de son magnifique Grand-Théâtre
(édifié par Jacques Elisée Goss, inauguré en 1879, incendié en 1951, réouvert en 1962), et qui se poursuit par l’édification d’un nouveau Théâtre de la Comédie aux Eaux-Vives, d’un nouveau théâtre de répertoire à Carouge, de la future Philharmonie déjà citée, ou d’un théâtre de la Danse qui sera construit près de la cathédrale orthodoxe, en plein centre de la ville.
Les festivités du centenaire
Pour célébrer ce centenaire, les festivités débutent dès ce lundi 26 et ce mercredi 28 novembre sous la direction de Jonathan Nott, le directeur musical de l’OSR, avec « Core », un ouvrage récent du compositeur Dieter Ammann, né en Argovie. Composition qui sera suivie du Premier Concerto pour piano et orchestre de Bela Bartok, interprété en solo par Pierre-Laurent Aimard, puis de la Symphonie Pastorale de Beethoven. Autre concert le 27 à Genève et le 29 à Lausanne avec des œuvres de Honegger, Gerschwin et Bernstein et une création en Suisse du Concerto pour trombone et orchestre de James Macmillan. Enfin pour le jour J, ce 30 novembre 2018, cent ans jour pour jour après le concert inaugural donné dans ce même Victoria Hall par Ernest Ansermet, l’Orchestre de la Suisse Romande, en hommage à son passé prestigieux et à celui de son fondateur, l’OSR, toujours sous la baguette de Jonathan Nott, offre une éblouissante soirée dédiée à la musique russe. Avec la célébrissime Polonaise extraite d’ « Eugène Onéguine » de Tchaikovsky, des airs de « La Dame de pique », d’ « Eugène Onéguine » et de « Iolanta » chantés par Sonya Yoncheva. Enfin, doubles cerises sur le gâteau, l’orchestre interprète « Une Nuit sur le Mont Chauve » de Modest Moussorgsky et la deuxième suite d’orchestre de « L’Oiseau de feu » d’Igor Stravinsky. Un répertoire dans lequel il excelle et qui ce soir là engendrera un grand moment d’émotion.
Mais très bientôt, pour célébrer de façon grandiose la réouverture du Grand Théâtre en février 2019, l’Orchestre de la Suisse Romande, comme pour prouver l’étendue de son registre, assumera l’intégralité de la Tétralogie de Wagner. Pour ces trois cycles du « Ring des Nibelungen » mis en scène par Dieter Dorn et qui comprend donc douze soirées, l’OSR sera dirigé par le chef saxon Georg Fritzsch. Et ce sera un nouveau joyau serti sur sa couronne.
Raphaël de Gubernatis
Orchestre de la Suisse Romande, billetterie : 00 41 22 807 00 00 ou www.osr.ch
Grand Théâtre de Genève, billetterie : 00 41 22 322 50 50 ou [email protected]
Visuel : ©OSR