Chanson
[Live Report] Cristal Automatique #1 : quand Babx dégaine la magie circonstancielle

[Live Report] Cristal Automatique #1 : quand Babx dégaine la magie circonstancielle

23 April 2015 | PAR Charlotte Dronier

Par un soir bleu de printemps, la Maison de la Poésie accueille de nouveau David Babin (Babx) pour son concert littéraire et la sortie de l’album qui en découle, en avant-première et en édition limitée. Il sait déjà que cet événement du 22 avril symbolise un moment important, très attendu lui aussi par les plus initiés. Un public de tous les âges patiente donc, entre deux baisers ou quelques verres, comme pour se préparer au mieux à ce rendez-vous avec Baudelaire ou Kerouac … Les lumières s’éteignent puis se rallument doucement sur un piano, le violoncelle de Julien Lefèvre et la batterie de Frédéric Jean, signe que la rencontre avec les étoiles est imminente…
safe_image
Une étrange conversation introductive sur la poésie s’instaure. On reconnaît là l’empreinte de Babx et son goût pour les boucles de paroles enregistrées. Il fait alors se rencontrer les fantômes d’auteurs illustres, comme des trésors sauvés de la désuétude. Leurs voix mystérieuses résonnent, jusqu’à devenir indistinctes au coeur d’une saturation. Sans doute un trop plein de mots inépuisables qu’il faut exulter et transpirer dans ce rite vaudou qui marie écriture et musique… Le ton est donné.

Babx habite en premier lieu la plume de Rimbaud qui hante l’album. Voix aride, cris griffants, gestes chancelants et saccadés que nous lui connaissons, il ouvre le concert dans une parade anxiogène, où corps décharnés pour qui la foi ne peut plus rien titubent dans une danse macabre. Baudelaire intervient. Cette fois, il s’agit de quitter la vie pour de plus grandes promesses amoureuses, dans l’alcôve d’une chambre que la mélancolie revêt de couleurs et d’odeurs enivrantes. Si « La mort des amants » est désormais un classique au sein du répertoire de Babx, il l’interprète ce soir sans guitare saturée, mais avec des percussions comme deux coeurs qui s’emballent et se délivrent, sirène au loin comme un acouphène lancinant lors de l’ultime shot.
Réapparaît ici le piano au son clairvoyant pour les rêveries érotiques de Jean Genet. Même le micro tombe en syncope… Babx en profite pour faire de l’auto-dérision facétieuse, ce qui renforce une fois de plus sa connivence avec le public. La poésie reprend enfin, sous les traits d’un amour assassin et cannibale. Puis la crudité d’Antonin Artaud nous fait basculer dans les bas-fonds. Les arrangements musicaux dépeignent une atmosphère de rues sombres, où des néons brisés clignotent de manière aléatoire au milieu des chuchotements alcoolisés et des trompettes de club. Babx bouscule les espaces-temps : nous voici insidieusement aux Etats-Unis. L’Anglais de Jack Kerouac ricoche dans sa voix de crooner, animant le piano et la batterie de l’esprit jazz. On devine que le prochain sera Tom Waits… Babx entreprend le choix judicieux de montrer la fragilité et la délicatesse de cet auteur. Pas de voix rocailleuse, mais un murmure halluciné, confiant le désir pour une femme fleurie qui danse devant lui comme un mirage, dans la moiteur et la lumière jaune d’une chambre en été. Une même chaleur en lévitation se fait alors ressentir dans la salle comble.
Nous croisons à présent la route de Gaston Miron qui entame sa « Marche à l’amour ». Dès les premiers instants, on pressent le plongeon dans l’écriture épique, l’espoir fou qui transcende, comme a pu nous les faire connaître à sa manière Léo Ferré lorsqu’il incarnait ce « Métamec ». Une dizaine de minutes seulement pour faire éclore une vérité enfouie et pourtant si instinctive : la nécessité de la poésie pour (sur)vivre.
La conversation initiale reprend peu à peu après cet apex, dont on sait désormais, par expérience, son sens, et quel envoûtement, quelle sorcellerie exercent les mots sur nous… Aimé Césaire et ses parfums africains clôturent d’ailleurs la performance, avant les nombreux rappels de la part du public et la session de dédicace semi-improvisée qui suivent…

Au sortir de cette invitation au voyage, on comprend la raison profonde de la naissance de ce concert littéraire, mais surtout la volonté de Babx de créer son propre label, Bison bison, afin de produire ce quatrième album. Un nom aussi déterminé que Gaston Miron qui « fonce à vive allure et entêté d’avenir la tête en bas comme un bison dans son destin ». Cristal Automatique #1, quant à lui, est une référence directe à Aimé Césaire. Babx attribue également un sens particulier à ce choix de titre. Il sous-tend la délicatesse et l’évidence paradoxales de reprendre, sans trahir, les mots de ses auteurs fondateurs, mais aussi le fait de mobiliser les bonnes personnes dans cet objet d’orfèvrerie. « J’avais sans doute besoin de retrouver du sens, de réfléchir à ce que cela signifie d’enregistrer un album en 2015. Il n’y avait pas mieux, à mes yeux, pour me retrouver dans cette quête de sens, que d’aller défendre les textes de ceux qui m’ont donné cette envie contagieuse d’écrire. Les retrouver, monter un label pour l’occasion, produire un premier disque, embarquer mes copains dans l’aventure… Tout ça m’a permis de me retrouver à la maison, retrouver mon ADN profond. », précisa dernièrement Babx au Magazine Longueurs d’Ondes. « J’essaie de révéler la musique du texte comme on révèle un négatif en photo. Tout est déjà en place dans un négatif, le reste, c’est de la chimie. », ajoute-t-il.

Maintenant, il faudra attendre un jour de juin pour que l’album Cristal automatique #1 paraisse officiellement, et répande au creux d’autres âmes toute sa magie noire…

Charlotte Dronier

Live report à l’issu du concert donné le 22 avril à la Maison de la Poésie (Paris).

Ce même soir a eu lieu la sortie des éditions limitées de Cristal automatique #1 (350 exemplaires numérotés et signés), dont la confection du livre-disque a été confiée à Laurel Parker, illustré par Laurent Allaire.

Parution officielle de l’album Cristal automatique #1 : juin 2015.

[États-Unis] Huit femmes scénaristes épaulées par Meryl Streep
Gagnez vos places pour la pièce « L’amour sera convulsif ou ne sera pas » par Jacky Katu
Avatar photo
Charlotte Dronier
Diplomée d'un Master en Culture et Médias, ses activités professionnelles à Paris ont pour coeur la rédaction, la médiation et la communication. Ses mémoires ayant questionné la critique d'art au sein de la presse actuelle puis le mouvement chorégraphique à l'écran, Charlotte débute une thèse à Montréal à partir de janvier 2016. Elle porte sur l'aura de la présence d'un corps qui danse à l'ère du numérique, avec tous les enjeux intermédiatiques et la promesse d'ubiquité impliqués. Collaboratrice d'artistes en freelance et membre de l'équipe du festival Air d'Islande de 2009 à 2012, elle intègre Toutelaculture.com en 2011. Privilégiant la forme des articles de fond, Charlotte souhaite suggérer des clefs de compréhension aux lecteurs afin qu'ils puissent découvrir ses thèmes et artistes de prédilection au delà de leurs actualités culturelles.

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration