
“Nous les filles de nulle part” : Amy Reed tient l’adolescence en haleine
L’auteure américaine de roman “young adults”, Amy Reed s’attaque à l’affaire du violeur adolescent Brock Turner dans un roman dense et engagé.
par Melissande Preguica
A Prescott, petite ville américaine, trois adolescentes vont être à l’origine d’un groupe anonyme, « les filles de nulle part » s’opposant aux comportements sexistes et aux agissements illégaux de la majorité des lycéens envers leurs camarades féminines. Ce qui n’était qu’un acte spontanée sur un coup de tête va profondément perturber l’établissement ainsi que la ville toute entière et déclencher une véritable chasse aux sorcières.
Amy Reed livre ici une fiction jeunesse très bien construite, tant dans ses personnages que dans son intrigue.
Le lecteur suit trois adolescentes qui vont s’unir pour tenter de dénoncer une situation intolérable, tout en affrontant en parallèle leurs angoisses et fantômes personnels. Rosina, adolescente lesbienne et fille d’immigré mexicaine, passe sa vie à se soumettre aux responsabilités familiales. Erin, elle, mène une vie réglée comme du papier musique à cause de son syndrome Asperger. Quant à Grace, obligée de déménager à cause des idées trop progressistes de sa mère pasteure dans une communauté très conservatrice elle fait la connaissance du duo atypique que forme Rosina et Erin.
Ensemble, elles vont créer le groupe « les Filles de nulle part » pour faire comprendre à toutes les filles de leur lycées que les incessants commentaires et comportements sexistes ne sont pas tolérables et normaux.
Grâce à ses personnages, le livre aborde de nombreux sujets autour de l’adolescence et de la construction de soi : le regard des autres, son propre regard sur son corps, le regret de l’enfance heureuse face à l’avenir incertain, le poids de la différence, la foi, la notion de famille et de sacrifice. Ce livre n’est donc pas qu’un récit féministe.
Un des points communs les plus forts dans le traitement des personnages est la relation mère-fille, toujours une relation complexe, entre admiration et remise en question. Il y a la mère parfaite, dont l’ombre pèse lourdement sur sa fille. Il y a la mère de famille nombreuse et modeste qui ne s’en sort pas et fait peser de lourde responsabilité sur son aînée. Enfin, il y a la mère poule, trop inquiète, trop angoissée, pour réaliser que sa fille grandit et qu’elle peut faire ses propres choix. Ces différentes relations sont très touchantes et en révèlent beaucoup sur les personnages et leurs choix. A l’heure où une adolescente se construit peu à peu en tant que femme, la mère est un référant inévitable. Cependant les pères semblent trop absents de ces univers familiaux ce qui renvoie à une vision quelque peu manichéenne et tranche avec le reste du propos.
L’intelligence de l’auteure est de donner voix à toutes les adolescentes à travers les réunions clandestines du groupes. Dans ce cadre s’expriment toutes sortes de jeunes filles sur leurs colères, leurs peurs, leurs doutes. C’est ici une très belle métaphore du féminisme, qui se construit grâce au dialogue et à la diversité. Le microcosme de ce lycée américain renvoie inévitablement à la société dans sa globalité, autant américaine, qu’européenne ou internationale…
Amy Reed, Nous les filles de Nulle part, Traduit par Valérie Le Plouhinec, Albin Michel, 19.90€. Sortie le 28/02/2018
visuel : couverture du livre