
Nouvelle visite au cabinet des curiosités… avec des manchots !
Les découvertes continuent, ou plutôt les redécouvertes. Le troisième volume des causeries de David Wahl, paru au printemps, propose cette fois d’explorer les abysses de la vie animale… et de l’être humain. Les dernières lectures de cette causerie ainsi que du Traité de la boule de cristal furent un succès à la Maison de la poésie et continuent en province. Le texte est l’occasion de revenir sur ces drôles d’histoires que l’auteur entremêle pour faire émerger d’exotiques coïncidences, pour notre plaisir plus ou moins empreintes de véracité…
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Des pingouins à l’infiniment petit constitutif de l’humain
Commençons par la lecture publique. Le texte publié par le jeune dramaturge est en effet lu, comme on vient de le noter, dans le cadre de causeries, sortes de conférences savantes sur tel ou tel sujet a priori anodin mais qui deviennent au fil des remarques de véritables démonstrations sur l’origine de la vie, son sens et son devenir. Vaste programme ! Ici, nous commençons par rencontrer Dominique, manchot habitant dans la manchotière (jusque ici tout est logique) de Brest et avec lequel il joue depuis désormais plusieurs représentations. A Paris, nous ne pourrons voir qu’un cliché du délicieux animal (à qui lira le texte, il sera donné la pluralité de significations que peut revêtir ici le terme « délicieux » !). Sur ce fond et sur fond de quelques autres images du domaine marin, David présente donc ses réflexions assis dans un univers rappelant un cabinet des curiosités de l’époque tridentine.
Revenons donc à Dominique. David part de son récit de vie. Ce pauvre animal n’a pas eu beaucoup de chance comme son espèce. Mais d’ailleurs, de quelle espèce s’agit-il ? Le manchot est-il un pingouin ? Les deux sont-ils différents ? D’ailleurs, comme on se posa longtemps la question, sont-ce des oiseaux ou des poissons ? A quel domaine du règne animal appartiennent-ils ? Les thèses furent nombreuses : on alla jusqu’à les confondre avec les Pygmées ! Les questions s’enchaînent et les thèses les plus loufoques sont confrontées, toujours habillées avec la plus extrême des éruditions du moment où elles sont formulées : d’où viennent ces animaux ? Quel est ce continent du domaine austral où certains d’entre eux vivent ? Comment se reproduisent-ils ? Sont-ils fidèles ? Qu’est-ce que la mer et l’océan où ils passent au fond une part de leur existence ? Et donc si l’eau est de là où ils émergent, est-ce de la même eau première dont nous sommes originaires ? Ne peut-on pas comparer notre organisme à un grand océan ? Géographie, sciences, histoire, religion, occultisme, botanique… Tout y passe ! A se laisser porter par le texte surtout, on est gagné par l’ivresse communiquée par l’auteur qui à travers sa quête passe si rapidement de l’infiniment petit à l’infiniment grand ! De quoi remettre l’homme à sa place. Ainsi, notre vie n’est jamais qu’un instant si on la compare avec l’Artica islandica, organisme vivant – un coquillage – qui fut découvert en 2007, qui fut détruit lors de son invention – au sens littéral du terme encore – et qui était né… à l’époque de Louis XII. Il avait donc vécu plus de 500 ans, de quoi nous ramener à l’insignifiance des manchots que nous voyons dépérir au fil du temps où nous détruisons notre – son – environnement…
Un comique de l’érudition
Ce texte, très court est, comme les autres, issu d’une même veine, celui par laquelle David Wahl signe les codes de la discussion érudite des XVIe à XVIIIe siècles d’un savant européen. Il en reprend le ton et le vocabulaire précieux. Il en imite les détours argumentatifs qui permettent à des savants avant tout observateurs cherchent à expliquer non par des lois et des systèmes précis mais par des causalités mal établies, et parfois mêmes construites autour de quelque coïncidence. De même que ceux-ci enfin, il laisse son esprit vagabonder de sujet en sujet, sans que l’on sache bien si, au fond, il cherche réellement à comprendre le monde, ou plutôt à faire porter le regard des spectateurs (ou l’esprit des lecteurs) sur ses incongruités, sur quelque sens profond de la vie affleurant par quelque événement impromptu…
C’est bien là que le jeu peut importer : cet humour suranné sonne d’autant mieux qu’on imagine les personnages et les situations incongrues comme ayant existé. Elles n’ont que rarement le sens que David lui confère, mais tout de même… Les presses à pingouins (ou manchots ?!) pour en tirer l’huile et ainsi permettre le quotidien ont réellement remplacé le pétrole, sans que l’on sache donc si cette hécatombe soit à porter au bénéfice de la préservation de l’environnement ou non ! Le passage du coq à l’âne ; l’auteur y excelle et en ayant l’outrecuidance (on essaie d’utiliser sa langue !) de leur trouver, donc, un lien, aussi ténu et incongru soit-il… De même, comment ne pas sourire à la démonstration de Michael Scot, médecin érudit écossais du XIIIe siècle qui éclairait la naissance de la Terre et de l’Océan par la salinité de ce dernier ! En effet, il « voit dans la salinité de l’océan une preuve irréfutable de sa grande ancienneté ; car, dit-il, l’amertume est le triste lot de la vieillesse, et l’océan lui-même n’échappe pas au déclin ». Pour l’un cette sanction morale sonne comme une simple ineptie. Pour un autre, cette erreur recèle, comme toutes celles accumulées dans ces quelques pages, une poésie immense, celle du plaisir de découvrir et de s’interroger sur l’humain et son environnement.
Les causeries continuent donc cet été pour plusieurs lectures, notamment au Quartz de Brest, avec le vrai Dominique ! Elles seront surtout bientôt suivies par un nouveau tome qui évoquera, croit-on savoir, Terpsichore… Pour eux qui n’auraient pu assister aux représentations parisiennes du printemps, David Wahl reviendra notamment à l’Odéon durant la saison 2015-2016.
David WAHL , La visite curieuse et secrète ; ou relation véritable de choses inouïes se passant en la mer et les abysses , Riveneuve éditions & Archimbaud éditeur , Mars 2015 , 107 p , 10 €
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