Essais
« Avoir bonne ou mauvaise réputation ? » : telle est la question

« Avoir bonne ou mauvaise réputation ? » : telle est la question

06 November 2015 | PAR Marianne Fougere

A l’heure des réseaux sociaux et de l’e-réputation, Gloria Origgi, propose dans un livre fouillé et peu avare en exemples, de prendre au sérieux une notion qui, au sein des sciences sociales, n’a pas bonne réputation.

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Et si les gossips et autres commérages de bonnes femmes jouaient un rôle déterminant dans la construction de notre identité ? C’est cette hypothèse, surprenante venant de la part d’une philosophe et chercheur au CNRS, que formule Gloria Origgi dans La réputation. Qui dit quoi de qui. Selon elle, nous n’avons pas un mais deux ego, deux identités : l’une forgée par notre subjectivité, l’autre par ce que « nous croyons être l’opinion des autres ou, parfois, ce que nous voudrions que les autres pensent de nous ». Réfraction d’une image toute à la fois familière et étrangère, ce moi social conserve une part de mystère. Boudée par les différentes disciplines scientifiques, on pensait la réputation réservée à la littérature, ou à une époque où les intrigues de cour organisaient et structuraient les hiérarchies sociales. Mais, par-delà le mépris et les sociétés aristocratiques, la réputation persiste et, si comme Origgi l’affirme, il semblerait même qu’elle soit constitutive de notre rapport au monde.

L’originalité de cet essai, son plus grand mérite, consiste à étudier de manière systématique la notion de réputation et à en circonscrire les territoires contrastés. L’approche adoptée par Origgi se veut pluridisciplinaire dans la mesure où la philosophe convoque aussi bien la sociologie de l’évaluation, l’économie de l’estime que des considérations psychologiques ou anthropologiques. Considérant les récits évolutionnistes et les généalogies comme tous deux impuissants à appréhender la complexité du phénomène réputationnel,  Origgi opte pour une épistémologie située et cherche à « analyser comment un concept s’est structuré et stabilisé à un certain moment de l’histoire, autour de quelles valeurs, de quelles pratiques ». C’est à cette seule condition qu’il est possible de comprendre pourquoi la réputation est devenue si importante aujourd’hui, jusqu’à tourner à la véritable obsession.

Après avoir distingué la réputation informelle de la réputation formelle, Origgi s’efforce de montrer dans quelle mesure nous avons quittés un âge de l’information pour entrer dans un âge de la réputation, âge dans lequel information et réputation sont les deux facettes d’une même médaille, l’information étant médiatisée par l’évaluation des autres ou la perception que nous en avons. Au travers d’exemples aussi divers que l’intelligence collective sur le web, la classification du vin ou la réputation académique, Gloria Orrigi démontre, dans une réflexion stimulante et plutôt convaincante, combien nous aurions tort de mépriser la réputation. Son objectif n’est pas cependant d’instaurer un climat de terreur autour de la réputation, ni de la transformer en objet de tous les fantasmes et de toutes les peurs. Quoique, au regard de l’imperfection et du caractère vicieux du critère de productivité scientifique, on pourrait en douter… L’enjeu de la réputation est tel qu’il est crucial, dès à présent, d’imaginer les contours d’un bon usage de la réputation en démocratie. En nous invitant à faire preuve de responsabilité épistémique, à apprendre à « utiliser d’une façon appropriée les réputations comme mesure d’évaluation », Origgi laisse entrevoir un horizon possible pour non pas subir les affres de la réputation mais pour nous en emparer comme « une sorte d’empowerment de notre identité ».

Gloria Origgi, La réputation. Qui dit quoi de qui. Paris, PUF, 2015, 306 p., 19 euros, sortie le 26 août 2015.

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