
Festival de Sarlat : “L’événement” d’Audrey Diwan, un film au plus près du corps
Le film d’Audrey Diwan est partout : Lion d’or à Venise, primé aux Festivals de Saint-Jean de Luz et du Croisic, L’événement est également présenté au festival de Sarlat. Nul doute que ce film âpre et frappant, adapté du roman d’Annie Ernaux, touchera le public lycéen, qui découvrira quelle chape de plomb bridait la sexualité dans les années 1960.
Anne Duchêne (Anamaria Vartolomei), étudiante en lettres, témoigne de belles dispositions. D’un milieu très modeste, elle sait qu’il lui faut travailler dur pour réussir à entrer en faculté. Le film s’ouvre sur une scène de fête étudiante, musique années 1960 qui swingue, corps qui se cherchent. Anne et ses amies ont mis pour l’occasion de nouveaux soutiens-gorge un peu provocants. Mais elles ne feront que flirter. Dans ces années-là, l’envie d’aller plus loin est nécessairement contenue, hantée par le risque de tomber enceinte. L’excitation et la frustration sont perceptibles, à parts égales.
Le retard de règles pousse Anne à voir un médecin, qui lui confirme sa grossesse. Immédiatement, c’est l’effroi, le refus qui animent la jeune fille. Avoir un enfant, dans la condition où elle se trouve, signifie purement et simplement faire une croix sur ses chances de réussite. Il n’en est pas question. Audrey Diwan filme, au plus près des corps, la course d’Anne, déterminée et vaillante, pour avorter. Interdit, l’avortement clandestin, cher et très risqué, était puni d’une peine de prison, pour l’avorteuse comme pour la patiente. Aucun médecin ayant pignon sur rue n’est disposé à l’aider. L’un d’eux la renvoie même de son cabinet avec mépris. Les plans serrés nous placent, spectateurs, dans le dos d’Anne, qui sait son temps compté et avance, coûte que coûte.
Audrey Diwan nous rend sensible la solitude d’Anne, qui ne peut se confier à personne. Ni les amies, ni ses parents, ni ses professeurs ne pourraient la comprendre et l’aider. Pesant, le silence devient presque un personnage à part entière. Pourtant, à un moment, il faut bien parler. Chaque fois qu’Anne se risque à se confier, les réactions, en face, sidèrent par leur lâcheté ou leur violence.
Très oppressant, le film nous fait sentir les vibrations du corps d’Anne, dont les changements s’imposent à elle. Manger en cachette, connaître des poussées de désir, ressentir des douleurs, toutes ces manifestations ne font que renforcer sa détermination à agir au plus vite. Les tentatives pour avorter, répétées, sont montrées de manière crue.
Autour d’Anamaria Vartolomei, que la caméra ne lâche pas, Kacey Mottet-Klein (L’enfant d’en haut d’Ursula Meier, Quand on avait 17 ans d’André Téchiné), Anna Mouglalis, Louise Chevillotte (L’amant d’un jour et Le sel des larmes de Philippe Garrel), Sandrine Bonnaire, Fabrizio Rongione (acteur fétiche des frères Dardenne) excellent dans des rôles ambivalents. La démarche d’Audrey Diwan fait d’ailleurs souvent penser à celle des frères Dardenne.
Dans la société d’aujourd’hui, rappeler que les droits des femmes n’ont pas toujours existé est absolument nécessaire. Sur le même thème, le très beau film roumain 4 mois, 3 semaines, 2 jours de Cristian Mungiu, avait obtenu la palme d’or. L’impression de course contre la montre, de solitude (même si l’héroïne était soutenue par sa sœur), la violence d’un système absurde et oppressif y étaient tout aussi bien rendus.
Le film d’Audrey Diwan est promis à une belle carrière, très méritée. Soulignons que, cette année, le roman Passion simple d’Annie Ernaux a également été adapté, par Danielle Arbid, avec une magnifique Laetitia Dosch. Nous vous recommandons vivement de le voir également.
L’événement d’Audrey Diwan, 1h40, France, avec Anamaria Vartolomei, Kacey Mottet-Klein, Luana Bajrami, Louise Orry-Diquero, Louise Chevillotte, Sandrine Bonnaire, Fabrizio Rongione, Pio Marmaï, Anna Mouglalis. Sortie le 24 novembre 2021.
Visuel : Affiche du festival de Sarlat