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« The Danish Girl » de Tom Hooper : une histoire d’amour

« The Danish Girl » de Tom Hooper : une histoire d’amour

02 February 2016 | PAR David Rofé-Sarfati

Trois ans après son adaptation décevante des Misérables de Victor Hugo, le réalisateur oscarisé du Discours d’un roi revient avec un biopic troublant: l’extraordinaire histoire de Gerda Wegener et de son mari Einar, premier homme à devenir femme.

Vous pensez que Danish Girl est un film sur le transgenre. Il ne l’est pas tant il se contente de déplier sans jugement et sans point de vue la version officielle de la doxa américaine sur le cas. Einar Wegener possédait des ovaires atrophiés; il était donc un « intersexe », terme général utilisé pour les personnes nées avec une anatomie sexuelle ou reproductive qui ne correspond pas à leur for intérieur. Il est né femme à l’intérieur, homme à l’extérieur. Le psychanalyste passera son chemin. Le catéchisme de la psychiatrie va consister à se débarrasser du cas auprès d’un chirurgien et de son scalpel. Sans procès.

Danish Girl n’est pas un film sur le transgenre car c’est un film sur l’amour. Il est une magnifique histoire d’amour entre deux peintres Gerda Wegener et Lili Elbe née Einar Wegener. L’efféminé Einar et la lesbienne Gerda inventent Lili, la transgenre, la convient dans leur couple. Ils vont s’amuser avec leur créature. Ils explorent ensemble les territoires d’un amour débarrassé d’une génitalité certaine. L’amour merveilleux entre ces deux êtres est renforcé par leur créature, cette troisième personne d’un troisième sexe. Il va se sceller sous un biais radicalement tendre et dans une fusion forte. C’est merveilleux.

Le talent de Hooper à saisir la réalité du monde qui fait l’essence du cinéma nous transporte ici dans un univers étrange et fabuleux, celui de l’entre deux guerres où s’éveille timidement une licence sociale. La photo est splendide. Eddie Redmayne est extraordinaire en Einar/Lili. Il est un grand acteur. Alicia Vikander est fabuleuse et attachante. Elle nous emmène durant toute l’intrigue, nous fait traverser alternativement avec son sourire et son inquiétude toutes les étapes de cet amour singulier. Les deux acteurs interprètent l’alchimie parfaite d’un couple déchiré. Au cours de ce chemin, Gerda appelle souvent Einar de toutes ses forces, chasse Lili pour ensuite l’accueillir de nouveau. Lentement Einar devient cette femme qu’il n’a jamais été. Hors ce long et difficile périple, Danish Girl est le récit tragique d’un amour indestructible entre deux êtres. La dévotion de cette femme courageuse pour un homme qui va cesser d’être son époux est absolue donc magnifique. Sous le regard indispensable de cette femme, Einar pourra affirmer sa vraie nature, dans la douleur et la passion. Il s’imagine avant d’être et il s’imagine grâce à Gerda. Ce chemin qui permet le retour de l’imagination à la réalité, c’est du cinéma et c’est de l’amour.

Ce grand film d’amour ouvre tout de même, mais sans les explorer quelques sujets de réflexion, la psychanalyse y retrouve son os à ronger. Gerda en mal de modèle féminin demande un jour à Einar de s’habiller en femme. Il refuse d’abord puis accepte. Tout commence là. À ce déguisement, il va se soumettre puis s’abandonner sous le regard de sa femme qui le dessine. Ainsi et c’est remarquable, Einar rentre dans la transsexualité par le travestissement et par le fétiche des bas de soie. Sa première opération consiste en la castration, la reconstruction viendra plus tard. Entre les deux opérations ni homme ni tout à fait femme Einar est dans un trouble très intéressant d’entre-deux. D’autres questions restent à explorer : pourquoi Einar va devoir apprendre les gestes de la féminité auprès de stripteaseuses, que lui a montré durant son enfance sa mère épicière, pourquoi ce rêve dans lequel ses parents l’appellent Lili, quel est le statut du chien qui passe de l’un à l’autre des époux, quel rôle a joué l’homosexualité de sa femme, quel est le sens de son idylle quasi amoureuse avec le jeune homosexuel ?

Au fond, on aura passé un moment merveilleux de cinéma tandis que reste entière, et c’est tant mieux la question : qui fut vraiment Einar/Lili ?

Visuel : (c) DR

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David Rofé-Sarfati
David Rofé-Sarfati est Psychanalyste, membre praticien d'Espace Analytique. Il se passionne pour le théâtre et anime un collectif de psychanalystes autour de l'art dramatique www.LautreScene.org. Il est membre de l'APCTMD, association de la Critique, collège Théâtre.

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