Rodin, sculpteur sur papier : une exposition pleine de délicatesse du musée parisien
Le musée Rodin possède la quasi-totalité des œuvres sur papier découpé et collé de l’immense sculpteur français. Cet ensemble très particulier et méconnu de la production de l’artiste n’avait encore jamais été montré dans son intégralité. L’exposition “Rodin, dessiner découper” en offre une merveilleuse occasion.
Bien avant Matisse ou Picasso, le sculpteur Auguste Rodin s’est tourné vers le découpage, le collage et l’assemblage, – une pratique qu’il a également transposée sur ses modèles en plâtre. Au sein de l’exposition, le visiteur peut reconnaître des œuvres phares du maître “recomposées”, tel que le buste de Henry Becque ou Le Penseur, avec ajout de socle ou disposition inédite. En miroir des dessins de nus, qui sont au cœur de cette production, sont disposées des vitrines des plâtres, terres cuites ou argiles du sculpteur et c’est là un point fort du parcours. Ce dispositif permet à la fois de montrer l’aspect sculptural de l’œuvre dessiné et la grande continuité qu’il y a dans la recherche plastique qui n’a cessé d’animer Rodin. Ainsi l’Isis messagère des dieux dont on connaît le bronze danse et virevolte de feuille en feuille…
On retrouve également la petite danseuse arquée, en argile, qui fait écho à une série de dessins. Sur l’une des feuilles, la même figure apparaît sous un lavis rouge : l’effet de résonance prend alors tout son sens. Car Rodin découpe aussi par la couleur : c’est l’objet de la dernière section où le bleu le dispute au rouge afin de créer une atmosphère marine ou aérienne. En isolant systématiquement la figure du fond, par la gouache dans ses “dessins noirs”, prémisses des œuvres sur papier découpé et collé (que l’on peut voir dans la première section de l’exposition) et par des couleurs plus vives par la suite, Rodin affirme son attrait pour la plastique des corps. En les abstrayant de tout contexte, il pose sur eux un véritable regard de sculpteur, tel ce corps de femme en contre-plongée repris dans plusieurs dessins.
Principalement réalisée à la technique de l’aquarelle, ces feuilles montrent tout l’amour que Rodin entretien pour le jeu avec les formes. Les silhouettes, le plus souvent féminines, sont dessinées puis décalquées afin de prendre la position voulue sur le papier. Aquarellées puis découpées et collées, ce sont de véritables petites sculptures que l’artiste a pris plaisir à manipuler. Ces “cut-outs” ont retenu l’attention par l’étiquette de “modernité” qu’on a voulu leur coller mais ils témoignent avant tout du caractère ludique et spontané – quoique très travaillé – que l’œuvre de Rodin a su garder tout au long de sa carrière. Il est à noter qu’il a réalisé la majeure partie de ces papiers découpés et collés entre l’âge de 65 et 70 ans. N’ayant plus rien à prouver, artiste reconnu internationalement, il a sans doute pris la liberté d’explorer une manière inédite de traiter le dessin de manière quasi tridimensionnelle. Une façon également de rester alerte face aux recherches picturales plus modernes ou d’avant-garde.
Le corpus principal de cet aspect si peu connu du génie créatif de Rodin est estimé à une centaine d’œuvres, dont 90 sont détenues par le musée Rodin et proviennent de la donation faite par l’artiste en 1916. Pour les besoins de l’exposition, la commissaire Sophie Biass-Fabiani a également fait venir des dessins de la collection de la Princeton University Library, bien que la collection du musée Rodin reste inégalable avec ses 7 500 dessins de l’artiste (toute la collection a d’ailleurs été numérisée, une belle initiative du musée). Avec une seule œuvre de Philadelphie qui n’a pas pu faire le voyage, mais dont une reproduction est présentée, on peut dire que le corpus est montré au public au complet, l’exposition “Rodin, dessiner, découper” jouant la carte de l’exhaustivité et de la rigueur scientifique. Jeux d’assemblages des corps et de positions déclinées dans toutes leur variété, ces dessins revêtent une dimension expérimentale. Ils sont un véritable laboratoire pour l’artiste. En cela, ils sont d’une valeur inestimable pour les historiens de l’art et les chercheurs, surtout lorsque l’on sait que Rodin a lui-même déclaré : « C’est bien simple, mes dessins sont la clef de mon œuvre » !
Du 6 novembre au 24 février
au musée Rodin
77 rue de Varenne
75007 Paris
Visuels : © musée Rodin. Images : Jean de Calan, J. Manoukian.