[Interview] Laurent Zorzin et Effi Mild fêtent les 20 ans de Arts Factory
Il y a 20 ans Effi Mild et Laurent Zorzin ont créé Arts Factory, une galerie d’art dédiée aux arts graphiques. Enfin, c’est un peu plus réjouissant que “juste” cela. Rencontre avec Laurent Zorzin autour d’un café long, assis sur des chaises 70’s où même Andy (Wharol) a posé ses fesses, pour parler de la fête qui va durer trois mois pour célébrer 20 ans d’expositions, et pas seulement.
Bon anniversaire ! Alors 20 ans c’est un âge très compliqué, on devient adulte. Pour une galerie, c’est un exploit ou c’est enfin l’autonomie ?
Si on s’attache au cycle de vie des galeries, c’est déjà un petit exploit. Les galeries sont un secteur d’activité sur lequel il y a beaucoup de turnover. Plus particulièrement sur les galeries qui font pas parties de ce que l’on appelle le CAC 40 des galeries d’arts. Ce sont les grosses galeries présentant des artistes internationaux où la on est vraiment dans un autre domaine, une autre sphère qui est pas celle qui nous intéresse. Donc c’est vrai, sur les galeries qui exposent des jeunes artistes quelque soit leur champs d’investigation, 20 ans c’est déjà un âge respectable.
Sur le dessin, quels sont vos principaux concurrents ?
Je sais pas si on peut parler de concurrence. Mais c’est vrai que depuis 2005, il y a un nouvel engouement pour le dessin sur le marché de l’art contemporain. Nous, on existait déjà depuis 10 ans à ce moment là…
C’est lié à « Drawing Now » ? ( Ndlr : Un off contemporain du Salon du dessin )
Oui et non. En 2004, il y a eu une ou deux grosses expositions aux États-Unis de dessins dans les galeries de type art contemporain. Aux États-Unis, un artiste est vraiment hyper représentatif de ce mouvement, c’est Raymond Pettibon, l’auteur des pochettes de Sonic Youth. Il fait parti des très gros artistes américains. Il est notamment représenté par David Zwirner. Il a continué ce qu’il faisait depuis qu’il était ado, c’est à dire du dessin. Parce que souvent pour atteindre des sphères de prix assez importante, on doit passer par la case installation, sculpture, grosse production pour intéressé les médias les gros collectionneurs, etc… Lui, il est resté fidèle à son truc. C’est un des chefs de fil du dessin contemporain.
Aux États-Unis, il y a toute une scène influencée par Raymond Pettibon qui a commencé à redécouvrir les vertus de ce médias qui demande pas grand chose finalement pour exister en terme de moyen financier. Donc, deux ou trois commissaires d’expos ont commencé à monter des grosses événements autour du dessin. C’est arrivé en France aussi, Agnès B. a pas mal œuvré là dessus. Puis il y a eu effectivement la nouvelle version du salon du dessin.
Et donc voilà, le dessin c’est un médias facile d’accès aussi qui permettait de renouveler un peu le parc de collectionneurs et de s’adresser à des gens qui font ne pas, puisqu’on parlait du CAC 40 des galeries d’art, partie du CAC 40 des collectionneurs. Le but s’était d’élargir un petit peu la sphère d’acheteurs potentiels…
Parce qu’en terme de prix, évidemment c’est moins cher…
Oui, ça n’a rien à voir. Même un artiste comme Raymond Pettibon, qui est pourtant un artiste hyper confirmé, ça vaut 30 000$. Ce qui n’est rien par rapport à un Jeff Koons.
Si on se replace dans notre contexte, on fête nos vingt ans. Quand on a démarré, au fait on a pas toujours été dans ce lieu là…
Oui, vous avez démarré où ?
Dans le 18e arrondissement de Paris en 1996 dans le quartier des Abbesses, on a ouvert une petite galerie de 70 m2 avec Effi. On est un couple à la vie, comme à la scène, puisqu’on est ensemble depuis un peu plus de 20 ans et on travaille ensemble depuis 20 ans. On a eu envi d’ouvrir une galerie ouverte aux jeunes artistes.
Vous veniez du milieu de l’art ?
Effi et moi, on travaillait dans le textile. Effi est Allemande, elle est venue faire des stages de stylisme en France donc elle est restée. Moi, j’étais assistant chef de produit dans le prêt à porter. On travaillait tous les deux pour une grosse société. On s’est très vite rendu compte que travailler pour une grande compagnie, c’était pas notre truc. Donc, Effi est partie un peu avant moi de cette firme et elle avait deux copains photographes qui faisaient des photos plastifiées assez chouette. Elle s’est dit : « bah tient, j’ai un peu de temps, je viens de quitter mon boulot, envoyer moi vos books, je vais faire le tour des galeries ». Pour contextualiser, en 1996, on est juste après la crise liée à la première Guerre du Golf. C’était une catastrophe pour beaucoup de galeries qui ont fermé à cause des difficulté financière.
Donc Effi part, un peu naïvement, faire le tour des galeries, espérant avoir un avis sur le travail de ses deux potes. Elle était assez douchée par l’accueil reçu. Les galeries ça ne les intéressaient pas de voir les nouveaux boulots. Elles demandaient le CV avant de voir le travail. Elle a pensé que c’était super dur pour des jeunes artistes de pouvoir émerger surtout en situation de crise où les galeries étaient frileuses.
Après un quinzième rendez-vous, un peu énervée, elle dit : « c’est trop con, on va monter une galerie pour les jeunes artistes ». Je lui ai dit : « ok, ça marche ». On cherche un lieu, on en trouve un à côté de chez nous dans le XVIIIe. Mais le problème, c’est qu’on avait pas d’artistes à part les deux potes d’Effi.
Alors, comment avez-vous recruté ?
A l’époque, Radio Nova éditait Nova Magasine, avec une rubrique petite annonce donc on a passé une annonce « jeune galerie cherches jeune artistes ». On a eu à peu près 120 messages sur le répondeur. Mais au bout du quarantième rendez-vous, Effi avait rencontré une quinzaine d’artistes qui allaient être la première équipe de la galerie.
Comment se sont passés les débuts ?
Les deux premières années, la galerie c’était un peu l’auberge espagnole. C’est à dire, il y avait des photographes, des dessinateurs, des peintres, des gens qui faisaient des meubles en carton. C’était un joyeux foutoirs. Mais on a assez vite trouvé notre public parce que la galerie ne ressemblait pas à une galerie. Les murs étaient pas blancs mais un peu jaune. Ça ressemblait plus à une boutique. On pouvait rentrer facilement dans un quartier qui était vivant. Il y avait une énergie qui était là et qui correspondait au quartier. Puis on a assez vite fidélisé un public.
Dans cette première équipe d’artistes, il y avait deux étudiants à l’école de graphisme Maryse Eloy, auteure de petits livres en sérigraphie. Ils avaient un professeur, Philippe UG, qui est aujourd’hui très connu pour ses pop-up illustrés. Et lui, il avait une petite structure d’édition dans lequel il éditait tout un tas de dessinateurs issus de l’undergraphisme français. Sous les conseils de ces deux étudiants, il nous a amené ses livres. À partir de là, on a commencé à vendre des livres en éditions limitées en sérigraphie avec de chouettes dessinateurs.
Puis on s’est très vite rendu compte, qu’il y avait une vraie scène qui gravitait dans le dessin mais c’était assez underground. De plus en plus d’artistes et d’éditeurs, nous ont amené des livres parce qu’il y avait pas beaucoup de points de vente à Paris pour ce genre de production. Tous ces éditeurs et ces artistes étaient ravis de pouvoir emmener leur livre, leur production dans un endroit qui leur semblait sympa. Comme il y a avait peu de livres, ils étaient vachement bien mis en valeur et ça a énormément circulé. Très vite, on s’est dit : « pourquoi on ferait pas des expos avec tous ces artistes ? ». Parce qu’il n’y avait pas de galerie qui s’intéressait à cette production, c’était accessible financièrement et pour le public. On a commencé à exposer les artistes qui étaient publiés dans ces graphzines. Dans le lot, il y avait des gens hyper connus aujourd’hui comme Pierre Lapolice, Jean Lecointre, Thierry Guitard ou Patrice Killofer. On les a tous rencontré via ces structures éditoriales. C’était le point de départ.
Dès 1998, on a vraiment commencé à axer la programmation de la galerie la dessus. Ensuite en 2000, il y a eu une expo, pour moi assez fondatrice qui s’appelait « sous-presse », consacrée au dessin de presse contemporain. Dedans, il y avait des artistes qu’on voyait beaucoup dans les pages de Libération à ce moment là comme Willem, Pierre Lapolice ou Thierry Guitard. Cette expo a constitué le noyau dur d’artistes avec lesquels on travaille encore aujourd’hui.
Vous déménagez quand ?
On reste dans cette petite galerie du 18eme de 1996 à 2006. On a fait plus de 100 expositions. On a décidé de transformer, à un moment donné, cette galerie Arts Factory en label. On allait apposer notre nom sur un certain nombre d’expositions et d’événements d’édition. La raison était qu’au bout de 10 ans, on avait un peu fait le tour du lieu. D’un point de vue personnel, on allait avoir un deuxième enfant donc ça allait devenir hyper compliqué de gérer un lieu 11 mois sur 12. Puis, on avait acquis une petite notoriété dans la scène graphique contemporaine. Donc on a tenté autre chose. Assez bizarrement, ça a fonctionné.
Concrètement, comment cela se passait ?
De 2006 à 2013, on a organisé des expos sous la forme d’une galerie d’art nomade donc sans lieu fixe. De là, on organisait des expos en investissant des lieux comme l’Espace Beaurepaire. Puis, on a commencé à faire des expos hors de Paris pour des festivals d’art graphique ou de bande dessinée en région. On allait produire des expositions au format galerie sur Paris et ensuite on les reformatait un petit peu pour qu’elles puissent fonctionner dans un format institutionnel ou festival. On a beaucoup appris dans cette période nomade.
On a gardé le fond mais en changeant la forme. Comme on avait la chance d’avoir des lieux un petit peu plus grand. Donc les expositions prenaient un petit plus d’ampleur et la scénographie s’améliorait. Ça nous a permis de travailler avec un certain nombre d’endroit comme le Lieu Unique à Nantes qui étaient intéressés par ce que l’on pouvait proposer. Cette période de 2006 à 2013, correspond au moment où le marché de l’art s’est un petit peu emballé sur le dessin. Comme nous, dès l’origine, on exposait des supers bons artistes dans ce milieu, comme Pierre La Police ou Patrice Killofer dont on a fait les premières expos en galerie, ça a un peu validé notre démarche et notre ligne artistique Ça nous a permis de rencontrer un public encore un peu plus large.
Sur la fin de la période nomade entre 2012 et 2013, on est revenu dans ce lieu qui était l’ancienne Galerie Lavignes-Bastille que je connaissais depuis de nombreuses années. Il se trouve que le propriétaire d’originaire Jean-Pierre Lavignes venait de décéder. Son associé était déstabilisé. Il nous a demandé de reprendre le lieu sur des périodes un peu longue.
Donc en 2012, on a fait une résidence de quatre mois. Pareil, en 2013. Cette même année, il y a eu une passassions parce que le propriétaire prenait sa retraire. Donc on a pu reprendre le lieu. Maintenant, Arts Factory est installé au 27 rue de Charonne depuis le mois d’avril 2014 mais mis bout à bout Arts Factory, ça fait 20 ans.
Que va-t-il se passer pour les 20 ans ?
On a conçu une programmation cycle de trois expositions. Elle va courir du 30 août jusqu’à la fin décembre. La première exposition, on a voulu revenir sur ce qui nous avez amené à exposer les dessins. C’est à dire la passion pour les livres imprimés en sérigraphie, des éditons limités, ce genre de choses… Parce qu’encore aujourd’hui, il y a un espace librairie dans la galerie assez conséquent avec pas mal d’éditions limitées qui permettent à tout le monde de pas être frustré en venant. On peut trouver une affiche numérotée à 10 euros.
On a voulu revenir sur tout ce que l’on avait imprimé pour soutenir notre programmation et présenter tout ça au public. Plus particulièrement à ceux qui nous suivent, depuis le début, à chaque exposition. C’est un moyen de leur rendre un petit hommage. Si on a pu tenir le temps, c’est aussi grâce à eux. Mais aussi pour remettre à niveaux tout ceux qui nous connaissaient pas avant, notamment depuis qu’on a repris la galerie rue de Charonne. Ce nouveau public ne connaît pas forcément notre passé. C’est une sorte de remise à niveau et de « rétrospective » sur tout ce qu’on a pu produire depuis 20 ans pour soutenir notre programmation.
On a produit des affiches, des sérigraphies ou des flyers. On a aussi soutenu des projets éditoriaux notamment « impossible », imaginé par Charles Berberian, Philippe Dupuy et Joseph Ghosn, qui était une sorte de fanzine avec du dessin. Ce fanzine a connu onze numéros autour de 2009-2010. On remet à l’honneur cette publication qu’on aimait beaucoup. On présente des dessins originaux qui ont permis de constituer ces livres. On va aussi sortir le numéro 12 en chantier depuis 6 ans. Donc on clôt ce cycle.
Il y aussi la collection « dans la marge » qui est un projet éditorial initié en 2007. L’idée était d’établir une correspondance graphique avec des artistes qui étaient passés par la galerie. Donc on leurs donnaient un petit cahier d’écolier de 32 pages sans contrainte de temps et de thème. Le seul truc était de remplir le cahier de dessins. Il y aura toute une salle consacrée aux dessins originaux ayant servi à éditer cette collection avec des artistes très variés. Ça correspond bien à la ligne directrice de la galerie qui est entre le dessin, la bande dessinée, l’illustration et le graphisme. On retrouve là dedans, Daniel Johnston qui est un artiste emblématique de la galerie mais aussi Nine Antico, une jeune auteure de bande-dessinée ou encore Hervé di Rosa, une personnalité très importante bien qu’il soit plus connu pour son travail de peintre. Tom de Pékin sera aussi présent, c’est un artiste important. Il y aura plusieurs vitrines consacrées aux Flyers, aux affiches d’expos, des sérigraphies qu’on a pu éditer pour les inscrire dans une exposition. Bref, par le prisme de l’édition ça donne une bonne vision de notre vision de la scène graphique actuelle.
Ça va arriver très vite, parce que votre summer show s’arrête le 27 août, vous vernissez le 30 août.
On est tout terrain. On monte une expo en deux jours.
Et les rendez-vous suivant sont ?
En octobre, une grande exposition personnelle avec un artiste hyper emblématique de notre galerie et de cette scène graphique plus ou moins underground. Même s’il n’est plus underground, il a commencé par cette scène en rendant des petits livres en photocopies. C’est Pierre La Police, qui nous fait l’immense plaisir de programmer avec nous une exposition autour de ses personnages cultes qui sont les patriciens de l’infernal. Une bande dessinée qui a commencé dans les pages des Inrock au début des années 1990. Il y a un nouvel épisode de cette BD qui sort en version numérique avant le papier, l’année prochaine. Il y aura des super héros dégénérés, des mutants au service de l’humanité. On est très fier de cette exposition, d’autant qu’il vient de faire une exposition au Lieu Unique à Nantes, qui était une rétrospective mais aussi une création in situ sur son travail de plasticien. Là, c’est le deuxième volet où il revient sur son travail de BD.
À partir de fin novembre, on fait un winter show. Normalement les winter show sont plutôt des expos qui servent de passerelle entre artistes confirmés chez nous et jeunes artistes. On a mis à l’honneur pour les 20 ans, quatre artistes hyper représentatif de notre programmation : Nine Antico, Jean Lecointre, Nathalie Choux et Véronique Dorey, des piliers de la galerie.
Voilà ! De l’exposition d’ouverture jusqu’au winter show, ça donne vraiment une idée très précise de ce qui nous anime, de ce qu’on aime montrer, de ce qu’on aime faire.
C’est un lieu mythique en fait !
Le lieu tel qu’il est aujourd’hui, c’est vraiment tout ce dont on avait rêvé de faire. Le lieu synthétise tout à fait la première version de Arts Factory. Une galerie avec un espace librairie assez développé.
Pour la petite histoire en 1986, c’est ici qu’Andy Warhol a fait sa seule exposition spécialement conçue pour une galerie d’art française de son vivant. C’était pour le centenaire de la statut de la liberté. On s’appelle Arts Factory évidemment c’est une double référence à la Factory de Warhol mais aussi au label Factory Records.
Les chaises sur lesquels on est assis, Warhol s’est assis dessus.
C’est pour ça qu’il y a aussi dans la partie librairie des vinyles. Ça constitue une des spécificités de la galerie. Entre les expositions, on fait des événements où on invite des labels de musique à venir présenter l’identité graphique du label. Tout ça se termine par un show case. Il y a l’idée de mixer les publics, on voulait faire une galerie pour tout le monde et « pop ». C’est avant tout un lieu de vie ouvert à tout le monde.
On est, aujourd’hui, le seul lieu en Europe spécialisé sur la scène graphique contemporaine de cette envergure.
Visuels :
1.
visuel arts factory créé par elzo durt
2.
Charles burns – “the black hole teens”
sérigraphies signées et numérotées, 50×35 cm
éditions arts factory – 2011
3
couverture du numéro 7 de la revue impossible
dessin de charles berberian
éditions arts factory – 2010
4
pierre la police – “morty”
sérigraphie signée et numérotée, 50×70 cm
éditions arts factory – 2016
5
simon roussin – “les galettes de pont-aven”
sérigraphie signée et numérotée, 50×35 cm
éditions arts factory – 2016
A la Une :effi_laurent.jpg
effi mild et laurent zorzin, fondateurs de la galerie arts factory
photo : sören le lay
Interview : Amélie Blaustein Niddam
Retranscription : Antoine Roynier