Taryn Simon et Florence Henri s’emparent du Jeu de Paume
Deux artistes se sont installées dans les salles du Jeu de Paume pour deux expositions aux univers bien différents. La première, Taryn Simon délivre un propos documentaire original et très contemporain tandis que la seconde, Florence Henri, artiste avant-garde des années 1920 à 1940, s’attarde sur la composition de l’image, mêlant jeux de miroirs et montage.
Taryn Simon
[rating=4]
A travers cinq séries, la jeune photographe questionne le monde et notre quotidien. Avec un travail de recherche important, elle présente des histoires intrigantes et plonge dans les archives pour livrer aux visiteurs des ensembles à la fois surprenants et originaux. Cela commence dès la première salle avec la mise en lumière de l’enjeu photographique dans
les affaires criminelles (The Innocents 2002). Devenu un véritable outil de défense ou d’accusation lors des procès, l’artiste américaine s’est saisie de plusieurs affaires où les photographies ont mené des innocents derrière les barreaux. D’une composition glaçante, les anciens détenus sont figés et le regard perçant, les photos grands formats retiennent toute notre attention. Les légendes, décrivant les sentences prononcées à tort et les lieux choisis pour la prise de vue sont directement liés à leur condamnation font froid dans le dos.
Plus loin, Taryn Simon titille notre curiosité avec The Picture Collection. Le spectateur se retrouve face à des patchwork construits à base de photographies rassemblées à chaque fois sous un même thème. Cette sorte de « recherche google » mélange les genres et fait
côtoyer « des photos célèbres tout comme des affiches publicitaires », nous raconte l’américaine. Cette série est le fruit d’un travail de recherche au 3ème étage de la Bibliothèque de Mid-Manhattan, qui regroupe 1,29 million de tirages : cartes postales, images découpées dans des livres et magazines. En découle alors des tableaux aux thèmes variés (autoroute, blessés, policiers, 4ème de couverture …) où l’artiste s’amuse en mélangeant comme lors du thème « vues de derrières » des fesses de cochons à ceux de jeunes femmes ou encore à l’arrière d’un bateau ou de soldats dans l’attente du départ au combat … Cette mixité rend son travail original et nous pousse à regarder chaque cliché sélectionné de près comme de loin.
Enfin, le 3ème travail qui aura retenu notre attention se trouve dans la dernière salle. Avec Contrebande (2010), le visiteur se retrouve en plein cœur du service fédéral d’inspection des douanes et de protection des frontières des États-Unis. Taryn Simon, restée une semaine sur place pour y photographier en continu les objets interceptés, nous révèle les coulisses en saisissant les objets les plus saugrenus. Du plus commun (tabac, films, héroïne, pistolet) au plus insolite (fumier de vache en dentifrice, pénis de cerf, cadavres d’animaux …), les objets photographiés sont présentés coffrés sous plexiglas rendant ce petit musée très plaisant.
Florence Henri
[rating=3]
L’exposition, qui revient sur le travail varié de l’artiste de 1927 à 1940, se distingue à plusieurs reprises. Loin de faire dans le classique, la photographe disparue en 1982 joue avec l’espace et le dénature complètement par le biais de miroirs et autres objets. L’espace est fragmenté par les reflets, le portrait prend désormais un « s » car l’on fait face à une multitude de visages. Le miroir sera également présent dans sa photo publicitaire et ses collages. Ces derniers peuvent souvent être considérés comme de vrais tableaux, tant par leur composition chargée en éléments présentés (de nombreuses natures mortes) que par l’éloignement à la réalité du fait de leur complexité. Enfin, ses « ombres transversales » qui viennent segmenter la photographie et ses photomontages de Rome bien travaillés, approfondissent la réflexion proposée par Florence Henri.
Visuels Courtesy of the artist © 2014 Taryn Simon
Visuels Florence Henri © Galleria Martini & Ronchetti