
Michel Nedjar, l’introspective de chiffons au LAM de Villeneuve d’Ascq
Jusqu’au 4 juin, les poupées fragiles et expressives de Michel Nedjar (né en 1947) s’exposent au LAM. L’artiste a lui-même participé à cette exposition qui présente toutes les facettes de son travail (installations, peintures et films) qu’il a intitulée “introspective”. La note est donc intime et fragile et l’oeuvre, elle, pousse les limites de l’art brut, dont le LAM est l’un des plus grands acteurs en France avec la mise en valeur des 5000 pièces apportées aux collections du Musée par l’association L’Aracine.
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L’introspection est divisée en cinq parties chronologiques avec quatre grandes constantes pour l’art de Nedjar : depuis le début, le désir de tout condenser dans des poupées cousues de fils d’âme; la fascination pour la figure pionnière de l’art brut Aloise Corbaz, la découverte tardive des origines juives et l’impact de cette prise de conscience sur la lecture de l’histoire; et enfin le compagnonnage et la perte du grand amour avec Theo Hernandez : sans lui, Nedjar ne tourne plus de film.
Les années 1968-1977 marquent une explosion de formes et de couleurs avec, dès l’origine, “les jeux interdits de la poupée” et des œuvres souvent sans titre. Les films sont en super 8, et tentent de montrer le vertige de la rapidité du mouvement. Les années 1978-1986 sont plus sombres, avec des dessins et peintures originelles qui pointent vers Dubuffet et des poupées très fragiles, aux noms d’héroïnes tragiques : les “chairdâmes”.
Une troisième période couvre les années 1986-1992 où les poupées sont en berne et se transforment en papier mâché le format en deux dimensions est privilégié, d’inspiration religieuse, à la Rouault, ou aux visages superposées, à la Picabia. 1992 est une année pivot, avec la mort de Théo et Nedjar emmène ses poupées en voyages. L’Île de Pâques est une destination pionnière dont l’artiste reviendra avec ses premières poupées baroudeuses, qui sont exposés sur un grand mur au LAM. La dernière partie de l’exposition montre comment Nedjar, fils de tailleurs, reprend encore et toujours à sa manière l’héritage de ses parents au métier juif traditionnel. Ce ne sont plus des poupées que présente l’artiste mais des immenses “coudrages” ou le chiffon emporte tout et conserve dans ses fils des lambeaux de mémoire. La poupée est plus que jouet ou objet de transition; elle devient la stèle fragile et chiffonnée de tout un passé englouti. Et presque à la fin de l’exposition, comme un renouveau festif et un symbole de vie et de survie, ce sont les “kalata” commandées par le MAHJ en 2009 pour célébrer Pourim, la reine Esther et l’échec d’Aman de détruire tout le peuple juif qui sont exposés comme un grand théâtre de couleurs de et matières.
L’introspection est réussie, on a vraiment l’impression d’être allé à la rencontre du continent Nedjar et d’avoir côtoyé les couleurs et les émotions fortes de ses muses et obsessions. Une exposition importante, à voir avant le 4 juin.
Visuels : affiche / photos prises au sein de l’exposition.