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La Fondation Cartier célèbre la scène artistique du Congo dans une exposition éloquente

La Fondation Cartier célèbre la scène artistique du Congo dans une exposition éloquente

13 July 2015 | PAR Araso

« Le troisième millénaire est ce que nous sommes en train de rêver. » Ainsi s’exprime le sculpteur Bodys Isek Kingelez dans un entretien en préambule de l’exposition « Beauté Congo- 1926-2015 – Congo Kitoko » qui s’est ouverte ce samedi 11 juillet à la Fondation Cartier. Deux étages entiers doublés d’un parcours sonore y sont dédiés jusqu’au 15 Novembre 2015 à la scène artistique congolaise de 1926 à jours. Une invitation au voyage truculente, surprenante et jubilatoire.

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Si l’Art Africain prend une place grandissante sur le marché de l’Art, c’est tantôt sous forme d’un artisanat né de la main d’un maître anonyme, tantôt sous l’angle du primitivisme qu’il nous est présenté – voir notre article du 25 juin 2015 « Trois bonnes raisons de s’intéresser à l’Art Africain ». Cette fois, la fondation Cartier prend le parti de consacrer une exposition entière à l’Art congolais et sa scène contemporaine portée par de véritables stars comme Chéri Samba, Chéri Chérin ou encore Rigobert Nimi, verbatim à l’appui. « Chez nous quand on a à boire et a manger on trouve que la vie est belle », affirmait le jeune Chéri Samba en 1982 dans le film de Mweze Dieudonné Ngangura « Kin Kiesse » projeté dans l’exposition. Une description candide d’une Afrique idéale correspondant jusqu’ici assez bien à un certain imaginaire occidental de plus en plus en mal d’authenticité. Il est vrai que la scène artistique kinoise d’aujourd’hui se distingue par son propos simple, vrai, direct, immédiat, affranchi et populaire en ce sens qu’il est directement inspiré de la vie quotidienne et reprend des questions politiques, sociales ou d’actualité. Chéri Samba poursuit « Quand je peins je mélange un peu de tout. J’aime que tout le monde se retrouve dans ma peinture. » Un propos simple qui prend très vite une tournure politique, thème récurrent de l’exposition avec les artistes excellant avec une aisance déconcertante dans l’art de la satire: « Je peins souvent ce que les gens n’aiment pas qu’on dise. Ce que Les gens n’aiment pas qu’on dise c’est la vérité et moi c’est ce que je préfère dire. »

Autre partie prenante de l’exposition, la couleur est incontournable, évidente, énergisante. « L’irrégularité et la diversité des couleurs est une force. La couleur c’est la vie, c’est pourquoi le bon Dieu a créé toutes ces couleurs, pour que nous nous réjouissions. » explique Bodys Isek Kingelez[1]. Les bleus, jaunes, rouges vifs de la jeune génération et des peintres populaires font ensuite place aux ocres, beige, bruns de l’école d’Elisabethville et des précurseurs, dont les premières œuvres sont d’une étonnante modernité et incluent celle de la seule artiste femme de l’exposition, Antoinette Lubaki. La photographie n’est pas en reste, avec de très beaux tirages de l’époque post-seconde guerre mondiale documentant la vie nocturne d’un Kinshasa sous colonisation belge. De jeunes sapeurs, ambassadeurs de la fameuse « Sape » congolaise déjà mise à l’honneur par le Palais de Tokyo en Février 2015, posent dans leurs tenues en vogue tels des cowboys américains et y côtoient des kinoises en quête d’un fiancé européen. La musique est omniprésente, chaque salle vibrant au rythme de la rumba, du funk ou du cha-cha. Car le Congo, et en particulier Kinshasa, c’est avant tout une ambiance, avec ses bars, ses cités, ses marchés où dans les années 1980s des figures comme Papa Wemba apportaient la mode aux jeunes.

En filigrane de l’exposition, la question de la culture, en ce qu’elle a d’identitaire et en ce qu’elle constitue une ouverture sur le monde. Ainsi Chéri Samba lance-t-il : « J’aime peindre les sujets qui relèvent la conscience des gens. Les africains sont convaincus qu’ils n’ont pas d’avenir parce qu’ils sont Africains alors qu’ils se font entrainer par les occidentaux. » Puis il poursuit, en s’excusant : « Si je suis peintre c’est parce que j’ai un message. Si je suis peintre, aujourd’hui, en Afrique, c’est pour porter une petite connaissance aux miens. »[2] Et ‘affirmer la culture kinoise et congolaise comme identité à part entière et indépendante du regard occidental, et qui ne se conçoit plus simplement en termes d’artisanat religieux et fétichiste, auquel on rend néanmoins hommage mais en termes de culture et d’identité à part entière. Le sculpteur et maquettiste Rigobert Nimi questionne quant à lui le rapport à l’Occident dans la notion du voyage. Si ses déplacements à l’étranger lui permettent de rencontrer ses pairs et de confronter des points de vues, retourner chez lui dans son atelier est une véritable nécessité car c’est là qu’il « arrive à avoir des rêves et des idées ». Avant de poser à nouveau la question de l’accès à la culture pour les jeunes de son pays : « Quand on parle de la culture, on pense aux bibliothèques. Mais chez nous il n’y a pas de bibliothèques où les jeunes peuvent se cultiver. »[3] Il incombe donc à l’artiste d’apporter aux siens à la fois cette confiance, cette fierté et cette ouverture sur le monde.

Aux confins de la modernité, de l’humour et de la pop-culture, une onde vibrante et chatoyante se répand sur la scène des expositions parisiennes. Rafraichissant.

ARASO


Visuel : JP Mika, Kiese na kiese (Le Bonheur et la Joie), 2014. Pas-Chaudoir Collection, Belgique © JP Mika
[1] In Entretien avec Bodys Isek Kingelez, Fredi Casco et Renate Costa, Kinshasa, 2014

[2] In Entretien avec Chéri Samba, Fredi Casco et Renate Costa, Kinshasa, 2014

[3] In Entretien avec Rigobert Nimi, Vincent Kenis et Benoît van Maële, Kinshasa, 2015

Infos pratiques

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Camille Hispard

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