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« Kyoto, Re-creation of Reminiscence » : L’arts and Crafts japonais serait-il né dans la laque ?

« Kyoto, Re-creation of Reminiscence » : L’arts and Crafts japonais serait-il né dans la laque ?

13 August 2014 | PAR Alice Aigrain

L’arts and Crafts japonais serait-il né dans la laque ? Le Musée national d’art moderne de Kyoto pose jusqu’au 24 août la question dans son exposition Kyoto, Re-creation of Reminiscence – lacquerware in Modern Japan.

Le propos est au prime abord alléchant. L’exposition veut en effet étudier pour la première fois l’utilisation de la technique de la laque dans le Japon post-industrialisation, après son ouverture à l’Occident. Cet art si traditionnel a orné l’habitat de millions de Japonais durant plusieurs siècles et jusqu’aux années 1950 où le formica et le contreplaqué sont venus au Japon, comme ailleurs, transformer la décoration et le mobilier.

Pourtant, entre la fin du XIXeme siècle et les années formica, le Japon est déjà entré dans une rapide et péreine industrialisation. Alors même que la laque va, par son essence, à l’encontre de tous principes de rapidité et de productivité, comment a-t-elle existé dans ce nouveau Japon en construction ? Comment se positionnent les laqueurs japonais, alors qu’à l’autre bout du globe, les artistes de l’art and craft comme William Morris revendiquent un rejet de la productivité du médiocre à grande échelle qu’induit l’insdustrialisation au profit d’un art pour tous, par la réunion de l’art et de l’artisanat ?

À la fin de la période Edo, le Japon adopte le système institutionnel artistique de l’ouest. Cela entraine alors la langue japonaise à inclure deux nouveaux mots : bujutsu (art) et kogei (artisanat). Pour la première fois alors, sont distinguées et définies deux disciplines jusqu’alors confondues. Les maitres lacqueurs doivent eux aussi se positionner. Alors arts or crafts ? Cette question devient centrale dans un moment de basculement de l’art japonais où le système maître disciple est remplacé par un système d’école d’art et où les premières réflexions sur une histoire de l’art nationale naissent.

L’apparition de ces écoles sera une manne pour les laqueurs en questionnement. Au lieu d’apprendre à répéter les techniques et idées de leurs maîtres, les nouvelles institutions poussent à la pluridisciplinarité, à l’échange. Deux disciplines se rencontrent là bas : la laque et le design. Ainsi dans le premier quart du XXeme siècle, nait une multitude de collaborations entre laqueurs et designers. Le dessin traditionnel, marqué par les représentations illusionnistes de la nature japonaise, s’emplit alors de personnages, de scènes oniriques. Il ne s’agit cependant pas encore d’art pur. L’utilisation encore généralisée de laque dans le quotidien des japonais, oblige à penser avant tout au fonctionnel avant de se laisser aller au décoratif.

Pourtant les laqueurs, dans leur quête du statut d’artiste, répondent aux nouveaux critères importés de l’occident: ils s’inscrivent dans des mouvements artistiques à travers un système d’autoréference, et ils développent un style individuel et reconnaissable. Toujours dans cet entre-deux, les artistes vont tenter de rester dans une position qui consiste à chercher l’art sans rejeter l’artisanat. Dans cette quête, ils se tourneront plus facilement sur les supports leur offrant une plus grande surface plane (panneaux, paravent), afin que l’idée ne soit pas contrariée par la forme.

En 1930, le groupe de laqueurs de Kyoto, décide de prendre un tournant radicalement dirigé vers l’art pur en utilisant le mélange des techniques, rompant ainsi avec la tradition. Le motif envahit la totalité de l’objet, de façon prononcée et prédominante. Les sujets ou les abstractions sont le résultat de choix individuels qui tendent à se détacher de la contrainte fonctionnelle et du carcan de la tradition. Ainsi ils créent ce qui semblerait être le premier mouvement artistique de laqueur, par son affirmation forte de sa volonté de sacrifier l’artisanat au profit de l’artistique.

Ainsi l’exposition entend-elle défendre ce point de vue historiquement marqué. Pourtant les idées, bien que séduisantes, manquent de démonstrations fortes dans le choix des objets exposés. Choisissant le didactisme avant l’argumentation, l’exposition reste dans un entre-deux, et le spectateur pourra contempler la virtuosité des pièces présentées, mais pas corroborer, ou à l’inverse contrecarrer les idées avancées par les équipes du Momak. Présentant cependant des pièces uniques et importantes dans l’histoire de l’art japonais, il serait dommage de bouder cette exposition lors d’un passage dans l’ancienne capitale japonaise. D’autant plus que le didactisme choisi par le musée permettra aux occidentaux que nous sommes, pas franchement familiers aux techniques de la laque, d’en comprendre les étapes, et de contempler des pièces maîtresses de l’art japonais du début du XXeme siècle.

Visuels : (c) Momak

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Bastien Stisi
Journaliste musique. Contact : [email protected] / www.twitter.com/BastienStisi

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