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Karl Lagerfeld, L’empereur de l’éphémère s’expose à la Pinacothèque

Karl Lagerfeld, L’empereur de l’éphémère s’expose à la Pinacothèque

16 October 2015 | PAR Araso

La Pinacothèque de Paris expose une sélection de photographies du maître de la mode Karl Lagerfeld et donne un aperçu de ses inspirations tout en posant la question des origines réelles d’un phénomène de société sans précédent.

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Dans l’œil du visionnaire

Si le titre est prometteur « Karl Lagerfeld : a Visual Journey » humblement amendé de « Photographs » c’est bien d’une exposition de photographies du maître qu’il s’agit. Sans tomber dans les affres du coup de publicité –à peine, déguisé, l’exposition assume pleinement son ambition et permet de franchir le seul du palais intime du visionnaire qu’est Karl Lagerfeld. On peut y contempler un choix minimaliste de portraits de célébrités, pas forcément les plus attendues, un condensé d’architecture internationale, de New-York à l’Allemagne en passant par la Casa Malaparte, des portraits d’éphèbes à la beauté sauvageonne et deux interprétations libres de deux monuments de la littérature grecque antique : « Daphnis et Chloé » d’après l’ensemble de pastorales de Longus et le « Voyage d’Ulysse » décliné en pas moins de seize panneaux. Tel les grands peintres classiques, le maestro de la mode moderne s’attaque à ces monstres sacrés. Enfin, une série de photos de mode et sa succession évocatrice de magazines et mannequins célèbres. On y retrouve la femme Chanel : souveraine régente, dominatrice, oisive, féminine en apparence, masculine au cœur. A côté d’elle l’homme s’éclipse, devient accessoire, agrémentant sa fantaisie jusqu’à disparaître. Elle ne le regarde pas, les yeux fixés sur l’objectif, sur son alter-ego ou livrée à des pensées plus nobles, toujours charnelle. Ca et là, le parcours est éclairé de phrases énigmatiques, comme celle de George Santayana « Le corps et l’âme ne sont pas deux entités différentes, mais deux manières de percevoir la même chose ». Soit.

Symbole d’une mode hégémonique

Si l’exposition donne un accès limité à l’œil du styliste visionnaire qu’est Karl Lagerfeld, le voyage s’arrête là, démentant les promesses de son titre. Comment cet homme si polyglotte et cultivé soit-il, ni photographe ni couturier, s’est-il frayé un chemin jusqu’au sommet de l’empire de l’éphémère ? Comment cet hyperconnecté fait-il, à 77 ans, pour avoir toujours une longueur d’avance sur son époque ? Qu’est-ce qui justifie que la planète mode et la société de consommation toute entière se prosternent à ses pieds, si ce n’est son inébranlable foi en son propre talent ? Est-ce là que repose la clé du succès ? A côté de l’exposition « Dries Van Noten – Inspirations » qui s’est tenue aux Arts Décos l’an passé, celle consacrée par la Pinacothèque à Karl Lagerfeld fait figure d’imposture. Karl vu par Karl, sans mise en perspective le fait passer pour un dilettante et manque de convaincre le visiteur en quête d’authenticité. Or, Karl Lagerfeld est une légende, le symbole vivant d’une mode hégémonique qui s’incruste dans tous les domaines de la vie dont elle est devenue un structurant social. Karl Lagerfeld à lui seul a été styliste pour Chloe, poursuivi l’aventure avec ses propres griffes, Fendi, Chanel, dont il réalise les campagnes publicitaires, a créé des costumes d’opéra, habillé starlettes et bouteilles de Coca-Cola et a été le premier à signer une collection capsule pour le géant de la fast-fashion H&M. Il le dit lui-même « l’élitisme de masse, c’est mon rêve depuis longtemps (…), c’est le chemin de la modernité ». Un chemin sociétal entamé depuis longtemps. Ce qu’écrivait L. Cheskin dans les années 1950 « Toutes les industries s’efforcent de copier les méthodes de grands couturiers. C’est la clé du commerce moderne » n’a pas été démenti par le parcours superstellaire de Karl Lagerfeld. Que ce soit avec Chanel, Fendi et ses sacs pourvus de « Karlitos », figurines de fourrure à son effigie, ou avec sa propre griffe objectivant l’icône à l’infini, Karl Lagerfeld est passé maître dans l’art de la consommation de masse régie par les lois de l’obsolescence, de la séduction et de la diversification. Il incarne à lui seul « l’extraordinaire généralisation de la mode, l’extension de la forme mode à des sphères jadis extérieures à son procès, l’avènement d’une société restructurée de fond en comble par la séduction et l’éphémère, par la logique même de la mode » dont parle Gilles Lipovetsky dans L’Empire de l’éphémère. Un phénomène qui mériterait d’être creusé, questionné, une réflexion que l’on brûle d’envie d’approfondir.

« Karl Lagerfeld, A visual Journey, Photographs » à la Pinacothèque de Paris jusqu’au 20 mars 2016.

Visuels:
Karl Lagerfeld
Daphnis et Chloé
2013
Impression acrylique sur toile
© 2015 Karl Lagerfeld

Karl Lagerfeld
Le Voyage d’Ulysse
2013
Impression acrylique sur toile
© 2015 Karl Lagerfeld

Lara Stone, Bapiste Giabiconi, Heidi Mount,
Numéro,
Impression acrylique sur aluminum,
© 2015 Karl Lagerfeld

Araso

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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