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Jan Fabre :  “On ne peut pas tenir en laisse son propre cerveau”

Jan Fabre : “On ne peut pas tenir en laisse son propre cerveau”

01 July 2018 | PAR Yaël Hirsch

Le vernissage de l’exposition estivale de la Fondation Maeght nous a donné l’occasion de rencontrer l’artiste flamand qui a scénographié l’exposition-somme de son travail sur le cerveau, “Ma Nation l’imagination”

Neurologiquement malade, Jan Fabre, approchant la soixantaine, ne dort toujours presque pas.  Aussi l’artiste flamand produit-il. Beaucoup. Après la biennale de Venise et ses 24 h folles offertes dans plusieurs villes du monde dont la Villette à Paris, il est à l’affiche de la galerie Templon jusqu’au 21 juillet avec une exposition sur le Folklore sexuel belge, qui s’inspire de matériaux de carnaval pour un travail ironique et coloré à la Ensor. L’on attend une nouvelle production à Paris au Théâtre de la Bastille en hiver, il vient de sortir un livre correspondant à son projet – tout en mosaïques scarabées- pour trois retables de l’Eglise Sint Augustinus à Anvers (qui remplacent des toiles de… des toiles de Rubens, Van Dyck et Jordaens) et à Saint Paul de Vence, il s’expose portant la croix à la Biennale (lire notre article), tandis que l’exposition à la Fondation Maeght fait le point sur le travail plastique qu’il poursuit sur le “plus sexy des organes” : le cerveau. Propos d’un insomniaque, travailleur forcené, qui compte mettre son cerveau en exposition une fois que le temps ici-bas sera écoulé.

Théâtre, danse, arts plastiques, invasions dans la ville, vidéos, performances vous touchez à tous les media. Que voulez-vous dire quand vous annoncez que la scénographie de votre exposition à la Fondation Maeght fonctionne comme une mise en scène ?
“Je ne suis pas un artiste multimedia, mais un artiste de la conciliation. Quand je fais une exposition je fais souvent beaucoup d’esquisses dans mon studio. Et ici, j’ai fait résonner la scénographie avec le lieu : le blanc du marbre, le jaune des socles et le bleu des dessins au style résonnent avec la Fondation Maeght”

Quand avez-vous commencé à travailler sur le cerveau?
Il y a à peu près douze ans. Cela m’a pris quarante ans pour réaliser que émotions ne viennent pas de l’extérieur mais sont un processus physiologique qui vient de l’intérieur du corps. On pense, on ressent, on calcule et on bande avec le cerveau. Je travaille depuis toujours sur le corps humain. Le cœur, les organes, les os… Montrer le cerveau vient d’un processus naturel dans ma recherche. Une des salles remet au centre le “cerveau sacré” à la place du sacré cœur de la tradition catholique. Et dans Einstein, Gertrud Stein, Wittgenstein and Frankenstein (2007), je montre toutes ces facettes du cerveau : la raison, l’art, la philosophie et l’intelligence artificielle. Tous ces aspects m’intéressent.

Avec l’intelligence artificielle, ne risque-t-on pas de quitter justement l’idée de cerveau comme organe mais de se reposer sur quelque chose d’inorganique ?
Ce qui m’intéresse c’est la manière dont l’humain Fonctionne. Ce n’est pas la technologie mais c’est vraiment l’humain : Comment le cerveau contient autant de mémoire
Mon travail n’a rien à voir avec les biotechnologies. Il porte au contraire sur l’humain.

Au coeur de l’exposition, l’on trouve des sculptures des cerveaux de vos parents, et en final leurs “gisants”. Vous parlez de “planètes” pour les caractériser et décrire leur impact. Comment passe-t-on d’un cerveau individuel à des planètes en révolution?
Ce sont deux œuvres importantes pour moi. J’ai pu ouvrir le crâne de mes parents et voir leurs cerveau et en faire une sculpture. Le cerveau de ma mère est à l’envers parce qu’elle était une magnifique femme qui mettait le monde à l’envers. Mon père m’a emmené au musée dessiner et prendre la mesure des choses. Alors que mon père était contre toute religion parce qu’il était communiste, c’est ma mère qui est allée dans l’autre sens : elle n’arrêtait pas de me raconter des histoires, des mythes. Le cerveau de la pensée et le cerveau érotique m’intéressent, mais aussi le cerveau spirituel. Quand on meurt il y a une énergie qui s’échappe. Depuis 40 ans, je réfléchis aussi à cette énergie spirituelle et elle m’intéresse. La science nous en dit beaucoup sur la manière dont même le temps se plie et se brise.

Vous croyez aux anges?
Oui je crois aux anges. ET aussi aux humains qui sont le contraire des anges : imparfaits mais du coup nous sommes perfectibles et en mouvements. Je crois en l’être humain, je crois à la beauté, je ne suis pas un artiste cynique.

L’exposition de la fondation Maeght et celle de la galerie Templon font l’un référence à l’idée de nation et l’autre de Folklore Belge. Tout passe par l’imagination, question identité ?
On m’a souvent reproché le kitsch, notamment pour l’exposition actuelle chez Daniel Templon. Mais il ne s’agit pas de cela, ni même du fait d’être belge. Il s’agit de résistance. Je vis dans ce le pays du côté des Flamands qui sont nationalistes. Aller chercher des thématiques venant du carnaval qui renverse l’ordre du monde, c’est continuer à protester, avec de l’humour et l’ironie comme résistance contre les différentes occupations belges…

Jan Fabre, Ma Nation l’imagination, Fondation maeght, jusqu’au 11 novembre 2018.

Visuel : ©YH

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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