“Georges Braque” au Grand Palais : une immense rétrospective
Alors que son “compagnon de cordée” Picasso continue de stimuler l’imaginaire des commissaires du monde entier (et de faire le plein de visiteurs), Braque connaît cet hiver sa première grande rétrospective française depuis quarante ans. L’occasion de bousculer nos préjugés pour redécouvrir une œuvre secrète et complexe.
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L’Espagnol exubérant, romantique et solaire face au Français classique, discret et réservé… Les divergences entre les deux maîtres du cubisme sont si évidentes qu’elles ont souvent suffi à résumer de manière un peu courte l’œuvre de Georges Braque (1882-1963).
Saluons l’initiative de la RMN et du Grand Palais, qui nous proposent à travers un parcours chronologique de redécouvrir l’ensemble de la carrière du peintre. S’il est vrai que Georges Braque n’a jamais caché son goût pour le mystère et le secret, voyant dans la peinture la clef de voûte d’un rapport métaphysique aux objets, c’est bien son génie de la composition, sa maîtrise technique et sa sensibilité qui sont à redécouvrir ici.
Certes, l’aventure fauve ne sera qu’une étape avant la longue genèse du cubisme, mais la première salle est aussi là pour nous rappeler que Braque n’est pas un homme des paroxysmes trop faciles. Ce qui lui plaît avant tout, c’est la poésie des agencements et la quête intellectuelle qui permet de les atteindre.
Les cabinets thématiques qui ponctuent le parcours présentent en parallèle l’évolution de la vie personnelle de Braque, sa longue convalescence après la Première Guerre mondiale, et notamment ses amitiés électives avec plusieurs grands poètes et écrivains de son temps. Certains ont voulu entrer dans son œuvre comme Pierre Reverdy, d’autres commémorer son statut particulier dans l’histoire de la peinture française (Jean Paulhan, auteur de Braque le patron). Tous en tout cas semblent avoir voulu percer le mystère d’un homme qui préfèrait repousser sans cesse les objets vers le spectateur plutôt que de l’inviter à pénétrer ses toiles.
Le rapport au sujet chez Braque étant tout sauf anecdotique, puisque c’est l’espace tactile entre les choses qui le subjugue, il n’a nul besoin d’aller chercher bien loin l’inspiration : le guéridon, les instruments de musique, le broc, le compotier (hommage cézannien récurrent) suffisent à nourrir ses explorations. Or l’exposition parvient à éviter l’écueil de la monotonie en montrant l’évolution des enjeux picturaux : ainsi, les natures mortes augmentées de papiers collés sont prétexte à jouer avec l’illusion de la représentation, tandis que les poissons et les crânes peints dans la seconde partie de sa vie à Varengeville induisent une relation plus étroite avec l’écoulement du temps.
Outre la salle consacrée aux Ateliers, série fondamentale entreprise au lendemain de la Seconde Guerre mondiale mais peut être présentée dans un espace trop ramassé pour que l’on puisse appréhender cet aboutissement pictural à sa juste mesure, soulignons quelques haltes souveraines : ne manquez pas les superbes Canéphores qui, bien qu’assimilées au “retour à l’ordre” adopté par tant de peintres dans l’entre-deux-guerres, frappent ici par leur élégance et la modernité de leur texture ; ou bien la salle des Billards, dont la version de Caracas résume bon nombre des préoccupations du peintre ; ou enfin, peut-être la plus belle salle à nos yeux, plongée dans une semi-obscurité bienvenue (pour des raisons de fragilité des œuvres) : consacrée aux mythologies, elle réunit les gravures de la Théogonie d’Hésiode, dont les volutes rappellent Miro, les majestueux plâtres noirs ou encore les sculptures inspirées par les débris trouvés sur les plages de Varengeville.
D’une œuvre à l’autre, dans les couleurs les plus éclatantes comme dans l’austérité des noirs, des compositions les plus simples aux toiles les plus complexes, notre curiosité est emportée sans relâche jusqu’à l’apothéose sourde que représentent les Oiseaux : ce sont eux qui, en buttant de leurs ailes contre les bords des toiles, viennent nous rappeler que le peintre niait en bloc leur symbolique conventionnelle. Point d’appel vers un ailleurs enchanté, la liberté est à chercher dans les tréfonds de notre for intérieur ou dans le limon des sols qui nous portent.
Visuels : © Adagp, Paris 2013