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Ahlam Shibli et Lorna Simpson : le Jeu de Paume affirme les identités

Ahlam Shibli et Lorna Simpson : le Jeu de Paume affirme les identités

28 May 2013 | PAR Amelie Blaustein Niddam

[rating=4]

Deux nanas fortiches et fort différentes, c’est ce que le Musée du Jeu de Paume présente dès aujourd’hui au travers des travaux de deux belles artistes : l’américaine Lorna Simpson et la palestinienne Ahlam Shibli.

On commence par le soft, par le haut. Larna Simpson va vous entraîner de la surprise à la nostalgie, de l’absence à la présence, du silence au son. Aux nuques qui nous accueillent succèdent les traces dorées des perruques (God Headed, 2013) et bientôt c’est sur du feutre, donnant un aspect vieilli aux choses qu’elle représentera son Staircase, (1998) ou son Chandelier (2011) issus d’anciennes photographies du Lincoln Center à New-York.

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Le parcours se fait de façon à montrer les différents médiums que l’artiste utilise toujours avec beaucoup d’élégance. Le noir et l’or occupent l’espace dans un culte actuel du passé. Elle se représente peu mais quand elle le fait, c’est pour se vieillir au cours d’une partie d’échec contre elle-même, jeune et femme, vieux et homme, et vice-versa.  Elle présente un mur de photomatons d’inconnus. (Please remind me of who I am 2009) On commence à comprendre son fil directeur qui la tire vers une question identitaire et existentielle : quelles sont les traces du passé ? Le genre est-il défini ? ( Wigs, 1994-2006).

On la pense confortablement installée dans une esthétique et elle vient mentir en proposant Cloudscape, une œuvre vidéo qui montre le musicien Terry Adkins dans une chambre noire éclairée par un spot. Il sifflote un cantique. Puis, par un processus de lent rewind, elle fait machine arrière. L’image semble être la même, le son change.

Chez Lorna Simpson, née en 1960, il y a cette magie du temps qui passe sans que cela  soit un problème. Le choix de ne pas avoir proposé un parcours chronologique fonctionne à merveille.  Le mélange des supports permet de découvrir le regard d’une artiste contemporaine, Lorna Simpson,  qui sait manier la performance comme art plastique. Son travail parle, que ce soit par le texte qu’elle y appose ou par le piano quadruplé du pianiste Jason Moran. L’œuvre met le musicien en miroir, en référence au travail de Cecil Taylor qui a recours à des effets de miroir dans ses compositions.

Lorna Simpson propose un travail qui nécessite attention et approfondissement, dans une sérénité bienvenue.

Au rez-de-chaussée, un choc nous attend, celui du Foyer fantôme d’Ahlam Shibli. 

AShibli_12Depuis les années 90, la photographe palestinienne travaille sur les enjeux de mémoires et d’identité blessée.

Que ce soit les “martyrs” devenant héros en atteignant le statut de kamikazes, les orphelins de onze établissements polonais, les images des travestis et transsexuels devant quitter leur pays (La  Palestine, le Pakistan, le Liban, la Turquie ou la Somalie) car menacés de mort à cause de leurs préférences sexuelles, les images de l’armée israélienne où juifs et arabes combattent ensemble ou les enjeux commémoratifs en France, la quadra attaque fort, dans une image réaliste  qui n’abandonne jamais la quête du beau.

Le parcours est d’une violence saisissante qui vient vous confronter face au miroir. Elle ne juge jamais et vous livre son pays brut de décoffrage. C’est par l’armée que l’exposition commence avec cette impossibilité de différencier l’origine des protagonistes. Ces soldats sont des bédouins palestiniens, l’armée leur offre un secours matériel non négligeable. Il s’agit donc de se battre avec l’ennemi.

Cette question du “camp”, a à tous les sens du terme envahi son œuvre. C’est de façon troublante qu’elle s’est intéressée dans la série joliment nommée “Trauma” aux cérémonies commémoratives à Puy Saint Clair, village où 99 hommes furent pendus en représailles.  Les mêmes hommes, dans les même lieux fleurissent des monuments en mémoire d’une victoire sur “l’occupant” nazi, et des morts français en “Indochine”, soit, deux actes qui célèbrent deux actes antinomiques : celui d’une résistance à l’Allemagne et celui d’une participation à une autre occupation, celle-ci coloniale.

Le camp encore, celui de Batula, et l’image des morts, cette fois par le biais des tombes du cimetière de Naplouse.

Elle affronte les préjugés, dénonces toutes les colonisations, qu’elles soient politiques, physiques ou spirituelle. Le travail d’Ahlam Shibli saisit par sa soif de liberté.

 Visuels:

1- Momentum, 2010, Vidéo HD, couleur, son  6’56, courtesy l’artiste, Salon 94, New York, et galerie Nathalie Obadia, Paris/Bruxelles  (c) Lorna Simpson

2-Ahlam Shibli, Sans titre ( Eastern LGBT n°13), International, 2004/2006, tirage chromogénétique, 55,5×37 cm, courtesy de l’artiste, (c) Ahlam Shibli

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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