
Table ronde autour de « L’art et la drogue : des relations complices et dévastatrices » à l’ICART
Afin d’aborder la problématique de la consommation de substances illicites dans le monde de l’Art, l’ICART Paris organise une table ronde exceptionnelle le 25 mars en présence d’Antoine Perpère, commissaire d’exposition et auteur de « Sous influences : artistes et psychotropes », de Jeanne Susplugas, artiste travaillant sur les pharmacopées modernes, de Clément Thibault, commissaire d’exposition et critique d’art, et de Christopher Drescher, organisateur d’évènements musicaux à travers Elipse. Cloé Assire, étudiante de l’ICART, organisatrice de l’évènement et modératrice, nous ouvre les coulisses d’un sujet un peu tabou.
1. Cela peut paraître naïf mais, en 2019, les artistes prennent-ils encore souvent de la drogue pour créer ?
Dans les mœurs actuelles, les artistes consommeraient encore beaucoup de psychotropes pour développer leur démarche créative. Les stéréotypes sont nombreux à ce sujet mais il est vrai que le cannabis est particulièrement répandu chez les étudiants en art, sans que cela soit nécessairement tabou et sans non plus le crier haut et fort. Cependant, le cannabis est très répandu dans l’ensemble de la population et, selon une enquête menée par l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), à 17 ans, 47,8% des adolescents français ont déjà expérimenté le cannabis. Ainsi, il paraît fort probable qu’aujourd’hui les artistes expérimentent une drogue avant d’y voir un intérêt créatif mais bel et bien un rôle récréatif comme dans l’ensemble de la population. Cependant, l’artiste-drogué appartient à deux maîtres : l’art et la drogue et l’un peut libérer l’artiste de l’autre. Il n’empêche que nombreux sont les artistes qui préfèrent que leur consommation de drogues demeure secrète afin d’éviter qu’on ne réduise leur créativité. Chacun a le choix et l’entière responsabilité de mesurer ce qu’il en retourne pour soi-même.
2. Mais les artistes peuvent aussi travailler sur la drogue comme Jeanne Susplugas…
Tout à fait. Et travailler sur la drogue ne veut pas forcément sous-entendre en consommer car la démarche de l’artiste peut aller de la fascination à la dénonciation de la prise de substances illicites. Le travail de Jeanne Susplugas est en effet particulièrement intéressant dans le sens où elle se penche sur les pharmacopées modernes, notamment les antidépresseurs, qui ne sont pas les premières drogues qui nous viennent à l’esprit, car en-dehors des stéréotypes habituels, en étant totalement légales, voire même remboursées par la Sécurité Sociale. Pourtant, ces nouveaux types de “drogues” font partie intégrante de la société et sont la source de nouvelles addictions. Peut-être s’agit-il même de la drogue de notre époque comme a pu l’être l’opium, surnommé “la drogue des poètes” au XXème siècle. D’autres artistes se sont penchés sur la question de l’art considéré lui-même comme étant une drogue à part entière, sujet qu’il pourrait être intéressant d’évoquer au cours de cette table ronde, notamment concernant la « boulimie » de certains colectionneurs.
3.Le sujet n’est-il pas tabou ? Est-ce facile d’organiser une table ronde sur ce thème dans une école d’ingénierie culturelle? Comment l’idée est-elle venue ?
C’est Pierre Gaffié, qui chapeaute l’atelier où les étudiants de L’ICART organisent les Masterclass, qui avait lancé cette idée sur le ton de l’humour. Cela m’a de suite semble intéressant et nous avons alors décidé de traiter sérieusement du sujet. Cela a été relativement simple : nous avions carte blanche sur le choix des invités, la seule contrainte était d’avoir au moins une personne du milieu de la musique afin de s’intéresser aux liens de l’art et de la drogue dans sa globalité, selon les filières que nous étudions à l’ICART. Trente minutes de questions seront accordées au public à la fin de la table ronde et il pourrait être intéressant d’aborder les rapports entre la drogue et la littérature ou encore le cinéma. Le sujet est pourtant encore tabou selon les circonstances et nous aimerions évoquer cet aspect au cours de la table ronde : par exemple, au cours de la rétrospective sur Jean-Michel Basquiat à la Fondation Louis Vuitton, le thème de la drogue était très peu évoqué alors qu’elle faisait partie intégrante de son travail.
4. Quand on travaille avec et pour des artistes consommant des substances illicites, comment le gérer ? Les commissaires ou organisateurs d’événements invités vont-ils parler de cet aspect?
Nous souhaitons en effet aborder cet aspect du sujet car cette partie relève du secteur professionnel qui concerne nombreux des étudiants qui seront présents. Nous pouvons tous être amenés à devoir gérer des artistes consommant des substances illicites. C’est notamment pour cela que je tenais à la présence de Christopher Drescher, organisateur d’événements musicaux avec Elipse, afin de comprendre comment gérer la prestation d’artistes sous drogues mais aussi le comportement du public. En effet, la musique techno pourrait aujourd’hui s’apparenter à une forme de transe moderne…
5. Idéalement à la fin de la table ronde qu’aimeriez-vous voir changer dans le rapport du monde de l’art à la drogue?
Idéalement, nous aimerions beaucoup nous éloigner des stéréotypes liés aux rapports du monde de l’art et de la drogue. Nous souhaitons traiter du sujet en profondeur, de façon concrète et actuelle, sans inciter à la consommation mais sans non plus tenir un discours moralisateur. Les drogues ne sont plus mythifiées comme par le passé en étant largement plus banalisées de la même façon que la production d’images en masse et nous chercherons donc à comprendre quels sont aujourd’hui leurs liens, dans un contexte présent.
Si cette discussion autour des liens entre art et drogue vous intéresse, l’entrée est gratuite et ouverte à tous le lundi 25 mars de 18h à 20h à l’ICART Paris. 61 rue Pierre Charron 75008 Paris, Métro : Franklin D. Roosevelt (lignes 1 et 9, Salle 14, 3 ème étage. Accueil à partir de 17h30
visuel : affiche