
Michael Connelly, À qui sait attendre : l’Amérique en suspens !
Dans À qui sait attendre, Michael Connelly signe un polar tout en retenue, où la patience devient une vertu morale et la mémoire, un outil de justice. Un roman sobre, lucide, qui confirme sa place parmi les grands chroniqueurs du réel américain.
Une fois de plus, l’écrivain américain poursuit sa méditation sur la justice, la mémoire et le temps, dans un polar précis et introspectif où chaque silence raconte en filagramme l’état du monde. Chez Michael Connelly, le polar n’a jamais été un simple jeu de pistes. Il est, depuis ses débuts, un prisme à travers lequel observer les fissures d’un pays en perpétuelle recomposition. À qui sait attendre, dernier opus traduit en français par Robert Pépin et publié chez Calmann-Lévy, s’inscrit pleinement dans cette veine. L’enquête y importe, bien sûr, mais elle semble surtout prétexte à une interrogation plus vaste, plus sourde : que devient une société qui n’écoute plus ses morts ? Renée Ballard, à la tête de l’unité des affaires non résolues du LAPD, rouvre une enquête vieille de vingt ans. L’ADN, désormais analysable avec une précision nouvelle, réactive les fantômes d’un viol resté impuni. Tandis que les méthodes évoluent, la violence, elle, demeure – insidieuse, résiliente, enracinée dans les plis d’une ville qui semble avoir perdu le goût de la justice. Le romancier ne cherche pas l’esbroufe. Son écriture, nette et fonctionnelle, sait se faire discrète pour mieux laisser surgir l’essentiel : un détail, une respiration, une tension sociale. Les personnages – Ballard, bien sûr, mais aussi Maddie Bosch, fille de l’incontournable Harry – sont habités par une inquiétude sourde, à la fois intime et collective. Ils avancent, lucides, parfois résignés, mais encore habités par une forme de foi : celle que le travail, la rigueur, l’obstination finissent par faire advenir quelque chose de juste. L’arrière-plan est politique, sans jamais verser dans le manifeste. Les menaces d’extrême droite, les rancunes d’une Amérique fragmentée, la défiance envers les institutions : autant d’éléments qui nourrissent l’atmosphère, sans jamais alourdir le récit. Car À qui sait attendre est avant tout un roman de tension retenue, de durée, de patience. Le polar y devient un art du contretemps, un exercice d’endurance morale. On l’a souvent dit : Michael Connelly est un des derniers grands chroniqueurs du réel américain. Ce roman en est une nouvelle preuve.
Jean-Christophe Mary
-
Michael Connelly, À qui sait attendre
Editeur Calmann-Levy
Collection Noir
Nombre de pages : 480