
Mort d’Albert Memmi, passeur et portraitiste de l’altérité
Essayiste, romancier et capable comme par magie de transmuer l’étude de sa propre condition en réflexion universelle, l’écrivain juif d’origine tunisienne Albert Memmi est mort ce vendredi 22 mai à Paris à l’âge de 99 ans.
Né dans le quartier de la Hara à Tunis en 1920, il fait ses études à l’Alliance Israélite Universelle, où il est l’un des meilleurs élèves de sa classe, passe au Lycée Carnot puis fait des études de philosophie à Alger puis à Paris, après avoir fait l’expérience d’un camp de travail en 1942. Enseignant au lycée Carnot de Tunis, il part pour Paris après l’indépendance de la Tunisie, où il enseigne à l’Université de Nanterre et à l’EHESS et obtient la nationalité française en 1967. Dès son premier livre en 1953, La statue de sel, préfacée par Albert Camus, l’aspect autobiographique est là. Il est aussi présent dans ses essais, toujours très importants aujourd’hui : Portrait d’un juif (1962) et Portrait du colonisé (1967).
Du personnel à l’universel
Il est bien sûr inspiré par Camus et Sartre et certains de ses concepts comme “l’hétérophobie” prolongent la tendance existentialiste à considérer que le colonisé se définit en fonction du colonisateur et le juif en fonction de l’antisémite. Mais une grande partie de la force de ses essais est de puiser au cœur de son expérience personnelle. Précurseur, Albert Memmi aborde très tôt des questions très taboues et parvient à universaliser des problématiques identitaires à partir son expérience de juif né dans un pays sous protectorat français.
Non loin des théories d’Hannah Arendt, c’est lui qui définit “la judéité” comme caractéristique sociologique issue d’une psychologie imposée, plus que de l’origine et de la religion. Et dans Portrait d’un juif, il décrit la chape de plomb qu’il secoue quand il fait ces propositions : “J’ai soulevé les protestations de mes amis juifs et non juifs. ‘Vous allez réveiller des monstres qui ne demandent qu’à l’être !’ M’a-t-on dit ; ce qui convient le mieux à cette affaire, c’est le silence ! ».
Paix et écriture
Egalement auteur de Juifs et arabes (1974), il est très impliqué dans l’association La Paix maintenant.
Grand écrivain, auteur de romans d’amour merveilleux comme Agar (1955) mais aussi de l’Anthologie des littératures maghrébines (en deux tomes 1965 et 1969), il reçoit le Grand prix de la francophonie pour l’ensemble de son œuvre écrite en français en 2004.
Alors qu’on vient d’apprendre la mort de ce grand penseur et écrivain, aussi bien le critique Pierre Assouline que le poète Mustapha Saha, cofondateur du Mouvement du 22 Mars en 1968, ou l’adjoint à la Maire de Paris chargé de la vie nocturne et de la diversité de l’économie culturelle Frédéric Hocquard rendent hommage à Albert Memmi sur twitter.
visuel : Albert Memmi en 1962 (c) Claude Truong-Ngoc / Wikimedia Commons – cc-by-sa-4.0