Classique
Cecilia Bartoli à la Philharmonie de Paris.

Cecilia Bartoli à la Philharmonie de Paris.

05 December 2018 | PAR Paul Fourier


La mezzo-soprano et inimitable diva italienne rendait hommage à Vivaldi, un de ses compositeurs fétiches. Un récital en forme de caresses.

Par Paul Fourier

On connaît depuis longtemps Cécilia Bartoli, ou, doit-on plutôt dire LA Bartoli, celle qui refusa tôt de s’enfermer dans un répertoire dans lequel elle pouvait prospérer (et végéter) et qui fut et reste la plus étourdissante des Cenerentola de Rossini.

Depuis les années 2000, elle décide de partir à la conquête de plaisirs inconnus, principalement dans le baroque, bousculant les codes, questionnant parfois même le genre dans l’art lyrique, notamment lorsqu’elle consacre un disque aux castrats. Ainsi, progressivement, elle devint une référence en la matière autant qu’une femme d’affaire et entrepreneuse de talent qui est aujourd’hui directrice artistique du festival de Pâques de Salzbourg. Dernièrement, elle réussit à mettre en place, sous la protection du Prince de Monaco, un orchestre baroque sur instruments d’époque. C’est précisément celui qui l’accompagne ce soir, magnifiquement dirigé par Gianluca Capuano.

20 ans après son disque dédié à Vivaldi et forte de ses explorations et redécouvertes, elle consacre, à nouveau, un moment et un album à ce compositeur qu’elle contribua à sortir des quatre murs des saisons. Le programme est intelligemment construit : des airs d’opéra inconnus souvent incomplets et exhumés, bon an mal an grâce à des recherches musicologiques, voisinent avec des chefs-d’œuvre tels que « Farnace » et « Catone in Utica », le tout entrecoupé de passages des quatre saisons.

De cet ensemble, se dégage une belle unité et un hommage complet au génie de Vivaldi tel, en introduction, cette transition de l’allegro musical du « printemps » à un jeu avec l’oiseau de la chanteuse dans un extrait du drame pastoral « la sylvia ».

En scène, toute star planétaire qu’elle est, Cecilia Bartoli reste une enfant gourmande, volontiers joueuse, présente pour prendre et apporter du plaisir.

Sur la scène de la grande salle Pierre Boulez, non occupée comme de coutume par une phalange philharmonique, la chanteuse, merveilleusement accompagnée par les musiciens du Prince-Monaco, peut à loisir nous proposer une promenade musicale savamment équilibrée entre moments orchestraux, airs pyrotechniques et moments de savoureuse mélancolie. Le dispositif, qui semble étudié comme si la Bartoli recevait ses 2400 invités dans son salon, lui donne toute latitude pour se balader, venir rugir à l’avant-scène ou retourner s’asseoir le temps d’une pause musicale dans le petit espace aménagé pour elle.

Un représentant de la Philharmonie prie l’audience de ne pas applaudir entre les morceaux ; l’ambiance fut donc bien courtoise et nonobstant les indécrottables tousseurs, le concert se déroule dans une concentration sage et attentionnée. Ce faisant, l’artiste reste toujours humble et respectueuse de son public. Combien de fois fait-elle le tour de la scène pour chanter aussi pour les spectateurs de l’arrière-scène, ceux qui sont régulièrement sacrifiés dans les concerts lyriques ?

La Bartoli n’a rien perdu de la magie de son inimitable voix. Elle fait même preuve d’une maitrise combinée du texte et du chant plus que jamais exceptionnelle. Certes, elle sait encore étourdir de son infatigable glotte dans des moments de pure virtuosité pour des extraits de “Ottone in Villa” ou de “Orlando furioso”.

Mais ce qui retient l’attention ce soir est moins cette Bartoli là, qui n’a plus rien à démontrer en la matière, mais celle qui fait assaut de mélancolie dans des dialogues tendres avec l’orchestre. Difficile d’oublier ce jeu, tantôt avec le violon, la flûte ou le clavecin, dans l’air d’« Ercole » démarrant la seconde partie du concert. Et on est littéralement en apesanteur lorsque le souffle inépuisable de l’artiste joue avec la flûte dans un « sol da te » aérien tout comme pour ce moment de douceur extrême qu’est le “ vedrò con mio diletto” (Il Giustino). Enfin, dans la longue scène de lamentation du “gelido in ogni vena” (Farnace)* dans laquelle le roi réalise qu’il vient d’ordonner l’exécution de son fils, on se laisse prendre petit à petit par l’émotion et la souffrance de ce père et on en ressort littéralement bouleversé.

Gourmande, elle offrira en riant 5 bis à ce public, petits clins d’œil à Mozart, à Haendel, à la chanson populaire italienne et même à Gershwin. Et l‘ensorceleuse s’en ira, jusqu’aux prochains enchantements qu’elle aura à cœur de nous proposer pour nous surprendre à nouveau … sans aucun doute avec la même tendresse.

Paul Fourier

* L’ensemble des airs chantés par Cecilia Bartoli figurent dans ses deux albums Vivaldi (1999 et 2018) et la comparaison à vingt ans de différence est tout à fait passionnante.

 

Visuel : ©Paul Fourier

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