
Les russes à Paris 1925-1955 à la galerie Jeanne Bucher Jaeger
Vassily Kandinsky, Véra Pagava, Nicolas de Staël, Youla Chapoval… De nombreux peintres russes sont devenus célèbres grâce à la galerie. Jeanne Bucher les a découvert, soutenu et exposé à de nombreuses reprises. Des décennies plus tard, l’exposition Les Russes à Paris, prolongée jusqu’au 22 décembre 2018, est un bel hommage à ces artistes venus d’Europe de l’Est et à Jeanne Bucher, grande prêtresse de l’art moderne.

Eau de vie, 1948
Huile sur toile, 100 x 81 cm Courtesy Jeanne Bucher Jaeger, Paris © G. Poncet
Dans les années 1920, Paris prend du bon temps, s’essaie à de nouvelles danses et déambule, surtout dans les cafés de Montmartre et de Montparnasse, un dictionnaire à portée de main pour parler les langues des nombreux artistes venus de toute l’Europe. Ces peintres, sculpteurs, mais aussi écrivains et poètes, sont audacieux, veulent briser les conventions académiques tout en espérant croiser la silhouette de la réussite et lui proposer un rendez-vous pour que leur relation perdure. Parmi ces artistes, beaucoup viennent de Russie, emmitouflés dans la bohême et la nostalgie d’un pays déchiré par la révolution de 1917.
La galerie Jeanne Bucher Jaeger, à sa création en 1925, fait partie de ces lieux parisiens dans lesquels ces artistes russes ont pu présenter leurs œuvres et trouver un refuge pour essayer d’oublier les luttes intérieures et le déracinement, carte de visite monotone de l’âme des exilés. L’un des premiers est Serge Charchoune. Passé plusieurs fois par la capitale française, actif au sein mouvement Dada, il passe un an à Berlin avant de revenir à Paris en 1923. Trois ans plus tard, il est exposé par Jeanne Bucher.

Galerie Jeanne Bucher Jaeger | Saint-Germain Courtesy Jeanne Bucher Jaeger, Paris © G. Copitet
En 1936, Vassily Kandinsky, qui a quitté l’Allemagne à la dissolution du Bauhaus quelques années plus tôt, montre pour la première fois certaines de ses œuvres à la galerie. Trois autres expositions suivront. La quatrième et dernière se tient l’année de sa mort, en 1944. La complicité entre l’auteur de Du spirituel dans l’art et Jeanne Bucher est forte. Kandinsky la décrit comme « Une mouette parmi les corbeaux noirs ». En 1942, il lui offre une huile sur carton, Communauté, testament solaire d’une vie de création, de théories et d’expérimentations, une charade presque pop art et si distante de l’Occupation qui a mis la France à genoux et qualifie l’abstraction d’« art dégénéré ». Présenter un peintre abstrait est alors un acte militant.

Huile sur carton 50 x 50 cm Courtesy Jeanne Bucher Jaeger, Paris © J.-L. Losi
En 1944, André Lanskoy, installé depuis une vingtaine d’années à Paris, et qui a quitté la peinture figurative et à l’huile pour l’abstraction et une utilisation plus large de la gouache, est exposé pour la première et unique fois et à la galerie et c’est là qu’il rencontre un autre compatriote, beau, charismatique mais dont les failles se lisent au fond des yeux. Nicolas de Staël est considéré par Jeanne Bucher comme la relève de l’art moderne.
Quelques semaines plus tard, en juin 1944, l’artiste géorgienne Véra Pagava dévoile ses tableaux aux côtés de ceux de Dora Maar, l’ex-égérie de Picasso. Dans l’exposition “Les Russes à Paris”, La joueuse de mandoline de Véra Pagava est un bijou de composition et de tendresse comme une icône orthodoxe dont elle semble l’héritière.

Galerie Jeanne Bucher Jaeger | Saint-Germain Courtesy Jeanne Bucher Jaeger, Paris © G. Copitet
En 1945, de Staël bénéficie de sa première exposition personnelle. Deux ans plus tard, c’est au tour de l’ukrainien Youla Chapoval de recevoir cet honneur et de présenter son travail, un cubisme évoluant vers l’abstraction. Une seconde exposition de ses toiles se déroule en 1949. Parmi les curieux présents figurent des personnalités importantes, la belle-fille du Président de la République Vincent Auriol, la collectionneuse et modèle Dina Vierny, Pierre Boulez, alors âgé de 24 ans, l’historien d’art Jean Leymarie et Georges Pompidou, qui achète ainsi sa première œuvre. La réputation avant-gardiste de la galerie et la présence de nombreux russes parmi les artistes présentés incite certains à pousser la porte du 9 ter, boulevard du Montparnasse, tel Serge Poliakoff qui devient un visiteur régulier de la galerie.

Sans titre (Nature morte à la bouteille), 1947
Huile sur toile
55 x 46 cm
Courtesy Jeanne Bucher Jaeger, Paris © J.-L. Losi
Mais les années 1950 sont celles des deuils. Youla Chapoval, qui fera l’objet d’une exposition à la galerie Jeanne Bucher Jaeger début 2019, meurt à seulement 32 ans, en 1951. De Staël, habitué de la galerie, s’y rend au début de l’année 1955, quelques semaines à peine avant son suicide. Mais dans la constellation de la peinture slave, les étoiles brillent toujours et elles sont descendues sur terre pour occuper un lieu familier et reprendre un dialogue comme dans ces années 1925-1955.
Jusqu’au 22 décembre 2018, venez écouter ces conversations de formes et de couleurs et imaginez, sous leurs voix, des airs de Rachmaninov ou de Prokofiev.
INFORMATIONS PRATIQUES :
Les Russes à Paris 1925-1955
Galerie Jeanne Bucher Jaeger/ Saint-Germain
Ouverte du mardi au vendredi de 10h à 18h et le samedi de 10h à 12h30 et de 14h30 à 18h
53 rue de Seine 75006 Paris
01 42 72 60 42
www.jeannebucherjaeger.com