
A Avignon, des Dialogues des Carmélites qui laissent songeurs
Alors que le Théâtre des Champs-Elysées s’apprête à reprendre la mise en scène désormais culte d’Olivier Py, l’Opéra Grand Avignon propose une nouvelle production de Dialogues des Carmélites de Poulenc pour deux dates seulement (les 28 et 30 janvier). Une mise en scène qui laisse quelque peu songeur…
En effet, le metteur en scène Alain Timar indique dans sa note d’intention qu’à “la fin de la scène 1 de l’acte I se produit un événement majeur : [Blanche] s’endort, la tête reposant sur les genoux de son père. De là, les portes du rêve s’ouvrent…” Faut-il alors comprendre que toute sa vie de carmélite ainsi que les exécutions ne sont qu’un songe, tel Alice rêvant du Pays des Merveilles (en version toutefois moins merveilleuse)? Cela expliquerait l’incohérence de voir Blanche postionnée en avant-scène tandis que l’on entend chanter “Qu’on aille prévenir Blanche de la Force”, ou bien lorsque soeur Constance s’interroge sur ce que peut bien devenir Blanche, alors que cette dernière n’est qu’à quelques mètres. Toutefois, cette lecture onirique d’une oeuvre basée sur un événement historique et attesté ne nous paraît pas des plus lisibles et n’apporte finalement rien de très convaincant. Le décor minimaliste voulu par le metteur en scène ne laisse voir que trois écrans géants servant de murs à la scène ainsi qu’une chaise blanche de taille normal pour le père, puis la même chaise en version XXL pour Madame de Croissy, chaise qui se transformera en lit pour sa mort. Les images projetées permettent de créer une véritable atmosphère en écho à ce qui se passe sur scène ou hors scène : les mains du frère et de la soeur qui se rapprochent puis s’éloignent lors de leur entrevue au parloir, les mains pressantes alors que les soldats cherchent à entrer au carmel, ce dernier en feu alors que tout gronde autour, etc… Les exécutions des carmélites se font devant un écran qui laisse apparaître petit à petit un ciel étoilé (un clin d’oeil au travail de Py?) A chaque son de guillotine, les soeurs font un quart de tour, comme frappées par un éclair, passant de profil face au public, les bras légèrement écartés avant de se coucher lentement dans une position de sommeil.
La fosse est pour sa part sous la baguette de Samuel Jean qui offre une direction quelque peu fortissima de la partition compte-tenu des conditions de la salle : la fosse est relevée, ce qui aide à porter les notes des musiciens pour mieux atteindre le public. Malheureusement, le chef ne module pas assez ses ardeurs et en oublie de laisser la place nécessaire aux voix qui, elles, ne sont pas particulièrement aidées malgré des micros (micros qui laissent toutefois entendre un son fort naturel, malgré quelques bruits non contrôlés). Les nuances et les couleurs ne sont malgré cela pas absentes et laissent un souvenir assez agréable d’un point de vu musical (si l’on oublie les voix).
Sur scène, Marie-Ange Todorovitch incarne à merveille une Madame de Croissy aux airs à la fois inquiétants et protecteurs, pleine d’amour, mais un amour dur d’un ancien temps qui a vu certains ravages de la désillusion. Blandine Folio-Peres est pour sa part une Mère Marie de l’Incarnation que l’on sent partagée entre sentiments nobles et moins nobles : une envie terrible de mourir en martyre, comme pour souhaiter une célébrité religieuse, ainsi qu’une pointe de jalousie peut-être envers Madame de Lidoine. Cette dernière apparaît sous les traits de Catherine Hunold, formidable de justesse tant vocalement que scéniquement, laissant transparaître une certaine noblesse qui sied merveilleusement au personnage. Sarah Gouzy prête pour sa part sa voix à Constance, mais sa bonhomie parfois excessive la rend parfois davantage hystérique que pétillante, d’autant plus que certains aigus se laissent entendre stridents et le chant n’est pas toujours très lié, laissant entendre les difficultés de la partition. Il faut toutefois rappeler que les chanteurs devaient certainement user beaucoup trop de leur voix pour se faire entendre par-delà l’orchestre, ce qui pousse naturellement à ce genre de “désagrément”.
Dans le rôle principal de Blanche, véritablement central ici, Ludivine Gombert parvient à tenir sur la longueur de l’ouvrage et fait voir un personnage quelque peu en retrait, ce qui convient compte-tenu de la peur qui la caractérise. Enfin, les hommes, bien que minoritaires, offrent de belles prestations : Frédéric Caton, tout d’abord, est un marquis de La Force doux et aimant, Rémy Mathieu est un Chevalier de La Force dont l’amour fraternel paraît parfois presque incestueux mais dont la voix, elle, est claire est bien projetée après une première partie où la difficulté de la partition se fait sentir. En soldat, et geôlier, Romain Bockler fait mouche notamment grâce à sa voix à la fois solide et délicate.
N’oublions pas pour finir les choeurs de l’Opéra Grand Avignon qui remplissent parfaitement leur rôle, offrant le final que mérite l’oeuvre de Poulenc. Malheureusement, face à un orchestre trop présent et à une mise en scène trop dépouillée, sans apparemment une réelle direction de comédiens, on regrette que les voix présentes ne soient pas davantage mises en avant et bien que l’on soit loin d’avoir passé une mauvaise soirée, tout l’onirisme de la scénographie ne laisse finalement pas rêveur…
©Cédric Delestrade/ACM-STUDI