Mark Lewis au BAL, l’image en mouvement

En ce début d’année 2015, vous ne trouverez aucune photographie accrochée aux murs du BAL. L’institution a fait le choix audacieux de présenter les œuvres du vidéaste Mark Lewis, représentant du Canada à la dernière Biennale de Venise. Exposition inédite, composée de sept films, Above and Below pose un regard percutant sur le monde contemporain et le quotidien.

Des mouvements de caméra vertigineux aux plans fixes, chacune des œuvres de Mark Lewis dialogue entre la vidéo et la photographie. L’artiste navigue entre les différents registres de la vie contemporaine. En effet, toute l’exposition s’articule entre des symboles de la société capitaliste et des événements du quotidien. L’artiste s’intéresse d’abord à la gare de Wall Street où il se filme en train de lire un manifeste sur le rôle des figurants, les laissés-pour-compte du cinéma. Seule pièce sonore de l’exposition, The Pitch créée en 1998, est le point de départ de la réflexion de Lewis sur le grand capital et notre évolution dans une société de plus en plus libérale. L’œuvre fait face au film Cold Morning qu’il réalise 10 ans plus tard. Un clochard plie ses affaires de manière quasiment militaire après avoir passé une nuit dehors. Cette œuvre est un accident, comme il y en a beaucoup dans le travail de Mark Lewis. C’est par hasard en se baladant, qu’il a été témoin de cette scène et a décidé de revenir, le lendemain, la filmer. L’artiste a posé sa caméra et le clochard a continué sa vie comme si elle n’était pas là. Ce film de huit minutes transcende la capacité de l’artiste à porter notre attention sur ce qui, de prime abord, semble une situation anodine. Poser le regard sur ces situations et ces gestes, c’est une forme de résistance aux vicissitudes du monde. Plus tard dans l’exposition, Smoker at the Café Grazynka viendra renforcer cette position. Un travailleur polonais assis à une table de café fume une cigarette. Le film dure le temps qu’elle se consume. Le geste est simple, anodin, banal et pourtant sous le regard de l’artiste, il est politique. Le détail devient un révélateur de la société contemporaine.

Une réflexion sur la cinématique transparait aussi dans les œuvres de Mark Lewis. « Dans mon travail, j’ai voulu réfléchir aux inventions purement filmiques, à ces choses qui sont propres au film et que l’on ne trouve nulle part ailleurs. » Dans Forte!, le cinéma modifie la vision et la perception du spectateur. Par des jeux de caméra des phénomènes comme la vitesse et la verticalité sont mises à mal. Cette volonté de faire perdre ses repères au spectateur, on la retrouve chez d’autres artistes contemporains comme Laurent Grasso et son Soleil Double. Ici, que ce soit dans Forte!, magnifique film sur une chaîne de montagnes ou dans Hendon F.C., balade existentielle à travers les champs, l’expérience du spectateur est au cœur du processus de création.

Et d’ailleurs, l’expérience devient entière avec Above and Below the Minhacão (2014) qui a donné son nom à l’exposition. Le film, projeté sur un écran géant, montre le Minhacão, autoroute en suspension de São Paulo qui est fermée à la circulation le soir et le week end, elle est alors envahie par les promeneurs et les cyclistes qui viennent s’y balader. Construite en 1970, cette infrastructure était à l’époque l’emblème du progrès en Amérique du Sud. Aujourd’hui, l’intensité du trafic, la pollution de l’air et le bruit en font un symbole de la faillite de la modernité. L’installation de Above and Below the Minhacão au sous-sol du BAL permet au spectateur de vivre une expérience immersive dans l’œuvre de Marc Lewis. Le visiteur peut s’asseoir par terre sur des coussins et regarder les gens se balader sur cette immense route.  Assis, notre rythme devient celui de l’image et des passants. Et le temps du film, on est à São Paulo en balade dominicale. C’est la première fois que le BAL consacre une exposition entière à un vidéaste, espérons que ce ne sera pas la dernière.

Visuel : Above and Below the Minhocao, 2014 © Mark Lewis