
Roméo et Juliette par Irina Brook, Shakespeare à la source
Pour la 5éme édition du festival SHAKE NICE, dans la grande salle du Théâtre National de Nice, paré d’une scénographie enlevée et dynamique, Irina Brook monte Romeo et Juliette de William Shakespeare dans une traduction nouvelle de Marie-Paule Ramo. Le spectacle est beau et édifiant.
Depuis sa création au Théâtre du Glob, Romeo et Juliette a subi ce que toute l’oeuvre de William Shakespeare a dû endurer. Chaque génération a vu des metteurs en scène qui s’emparant du texte ont sédimenté leur propre strate, parfois dans une respectueuse continuité, parfois dans une polie transgression, parfois aussi dans une déstructuration agressive. Chaque strate est venue recouvrir la précédente qui lui a servi de fondation. Au fil des générations, Shakespeare, auteur canonique et origine essentielle du théâtre est devenu un totem. Chaque création d’une de ses pièces a rendu hommage ou attaqué son totem, avec le secret espoir de marquer l’histoire de l’oeuvre. Qu’elle soit faite de respect ou d’insolence, une foi religieuse en ce totem est venue soutenir le caractère séculier de chaque représentation. Irina Brook, c’est son génie, ne tourne pas autour de ce totem; elle l’ignore. Elle se situe en deçà, avant les avatars de cette idole au fil des siècles, avant le totem lui-même. Elle puise directement à la source de l’oeuvre, au théâtre populaire du Glob, seule une brillante traduction réactualise le texte au vu de notre langue d’aujourd’hui.
Par la gymnastique intellectuelle puissante et généreuse de la metteuse en scène (qui quitte en beauté avec cette création le TNN), le spectateur découvre pour la première fois une pièce drôle, émouvante, ludique, emportée, ésotérique. Fidèles à sa création, les garçons des clans et la nourrice de Juliette enchaînent les blagues vulgaires et grivoises. L’histoire d’amour des deux ados intrique le léger avec la tension du drame. Les personnages sont tous attachants. Maïa Jemmett construit une solide Juliette, elle traverse son rôle avec brio, entre clairvoyance et naïveté. Remercions toute la troupe au diapason, en particulier l’incroyable Irène Réva, le pétillant Samuel Charieras et le séduisant Kevin Ferdjani magnifique Roméo. Ils défendent avec cœur la partition texte danse et chants.
Le choix d’une scénographie à l’horizontale, si elle blesse la scène du balcon, enchante et capte le spectateur qui s’émerveille des mouvements amples sur le grand plateau du TNN. Le dernier décor est tout bonnement magnifique et inoubliable. Le plaisir du public se forme dans ce Shakespeare des origines enthousiasmant et spectaculaire. Reste que l’expérience la plus étonnante du spectateur sera l’extraordinaire et exceptionnelle vitalité de la salle. Irina Brook lui insuffle une vie nouvelle. Qui n’a pas participé à ce public , gloussant riant, souriant gesticulant de joie aura certainement raté Shakespeare.
ROMEO ET JULIETTE
WILLIAM SHAKESPEARE
TRADUCTION MARIE PAULE RAMO
MISE EN SCÈNE IRINA BROOK
avec Samuel Charieras, Aliénor De Georges, Kevin Ferdjani, Marjory Gesbert, Cyrille De Gonzalgue, Laurent Grappe, Maïa Jemmett, Issam Kadichi, Jérémy Komboh Alié, Haykel Mashate, Irène Reva, Quentin Richard
Crédits Photos © Gaëlle Simon