Théâtre
« Léviathan » à l’Odéon Berthier, du très beau théâtre mais …

« Léviathan » à l’Odéon Berthier, du très beau théâtre mais …

06 May 2025 | PAR David Rofé-Sarfati

Du 2 au 23 mai 2025, Lorraine de Sagazan présente Léviathan aux Ateliers Berthier de l’Odéon, une pièce coécrite avec Guillaume Poix qui plonge dans l’univers de la comparution immédiate. Inspirée d’une immersion au sein de la 23e chambre du tribunal correctionnel de Paris, la pièce cherche à mettre en lumière la brutalité, l’absurdité et la froideur d’une justice présentée comme expéditive et déshumanisée.

Guillaume Poix, auteur dramatique reconnu pour son approche documentaire et son engagement social, est un collaborateur régulier de la metteuse en scène. Ensemble, ils ont déjà signé La Vie invisible et Un sacre, des pièces qui interrogent les institutions et les fractures sociales.

Pour Léviathan, Poix plus idéologue que scientifique, parfois même complotiste (la multinationale Sodexo opérateur des cuisines de prisons influerait la politique pénale?!) décrit les dérives de l’appareil judiciaire, une ploutocratie du système, une vénalité des avocats et une froideur narcissique des magistrats. Pourquoi pas ?

La scénographie imaginée par Anouk Maugein donne à voir un espace scénique évoquant un tribunal sous chapiteau, où les visages des juges et avocats sont dissimulés par des masques figés, tandis que ceux des prévenus sont voilés. Ce dispositif visuel, mêlant hyperréalisme et onirisme, veut figurer l’effacement des individualités et la mécanique impersonnelle d’un système qui broie.

Malgré une mise en scène saisissante et une volonté évidente de dénonciation sociale, Léviathan peine à convaincre. Son propos binaire, radical, oppose de façon simpliste une justice oppressante à des justiciables victimisés.

En s’éloignant du théâtre documentaire pour privilégier une forme plus fantastique et hallucinatoire, la pièce perd en rigueur ce qu’elle gagne en esthétique. Cette tendance au manichéisme et au discours prétendument vertueux affaiblit l’impact critique de l’œuvre, qui, malgré son ambition, n’explore qu’en surface.

Une pièce envoûtante, véritable miroir aux alouettes pour un propos somme toute maigre, bien que portée par une écriture théâtrale audacieuse et inventive. Une œuvre à considérer, amalgame d’extrémisme woke et de radicalité libertarienne. Mais sans éluder pour autant la question essentielle, dissimulée derrière les artifices du spectacle — et que celui-ci semble vouloir ignorer : pourquoi la lutte nécessaire de la justice contre le sacrilège de la loi est-elle, en fin de compte, ce qui nous préserve de la barbarie ?


Conception et mise en scène de Lorraine de Sagazan  
Avec Khallaf Baraho, Jeanne Favre, Felipe Fonseca Nobre, Jisca Kalvanda, Antonin Meyer-Esquerré, Mathieu Perotto, Victoria Quesnel, Eric Verdin

Vu le 3 mai 2025 aux ateliers Berthier

 
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David Rofé-Sarfati
David Rofé-Sarfati est Psychanalyste, membre praticien d'Espace Analytique. Il se passionne pour le théâtre et anime un collectif de psychanalystes autour de l'art dramatique www.LautreScene.org. Il est membre de l'APCTMD, association de la Critique, collège Théâtre.

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