
Le Secret des conteuses au Déjazet; secrets d’alcôve et beau langage
Dans un spectacle écrit et monté par Martine Amsili, hommage est rendu à un certain hédonisme, celui de l’amour et de la langue élégante, par la voix de quelques femmes écrivains et « beaux esprits » emblématiques du XVIIe siècle.
Dans l’écrin toujours admirable du théâtre Déjazet, le rideau s’ouvre sur un salon élégant et riche ; une femme en robe de cour s’y promène, lisant à haute voix une page du livre qu’elle tient à la main. La servante entre et s’étonne des propos que tient sa maîtresse ; celle-ci éclate de rire. L’auteur du livre s’appelle Molière, la lectrice, Ninon de Lenclos. D’emblée le ton est donné ; nous voilà, depuis notre XXIe siècle explosif, propulsés au cœur de l’époque non moins agitée des salons littéraires, des précieuses plus ou moins ridicules, et des mariages forcés.
Dans ce salon, où aujourd’hui, pour une raison bien précise, les hommes ne seront pas admis, la maîtresse de céans reçoit trois femmes, trois « beaux esprits » très en vue ; Madame de Sévigné, épistolière fameuse tout comme Ninon elle-même ; Mademoiselle de Scudéry, femme écrivain qui inventa la Carte du Tendre ; Madame Scarron enfin, veuve de l’auteur du Roman comique, et qui n’est pas encore Madame de Maintenon. Ces dames, habillées et coiffées de façon étourdissante (somptueux costumes d’Agnès Dupuis), prennent place, échangent des compliments dans une langue très fleurie ; on craint un instant que l’ensemble ne bascule dans une fiction historique un peu guindée, avec noms d’hommes célèbres, courbettes et meubles d’époque. Heureusement, la pièce est assez bien écrite pour qu’on se prenne vite au jeu, et qu’on suive avec intérêt celui qu’invente la célèbre courtisane et qu’elle appelle « le secret des conteuses ».
On y parle volontiers d’amour-un peu-de plaisir-beaucoup-mais aussi et surtout de langage, que l’on veut toujours plus élégant, émouvant ; tout comme la lettre ou le billet doux, la conversation était aussi un art, à l’époque. Dans son salon, Ninon de Lenclos domine, et au grand scandale de ses invitées, balaie du geste les scrupules et interdits religieux qu’elles lui opposent—il est d’ailleurs dit très tôt qu’elle a reçu Molière après le refus de son Tartuffe sous l’influence des dévots.
Avec un charme certain, la pièce se distingue par sa légèreté, voire son humour, à travers le discours de ces femmes qui savent parler d’amour et d’elles-mêmes, sans fard, mais sans brutalité.
Dans les rôles de Ninon et de Mademoiselle de Scudéry, Anne Jacquemin et Annie Sinigalia brillent de mille feux. Julie Judd (Madame Scarron) et Niseema (Madame de Sévigné) complètent l’harmonie de ce concert à quatre voix. Enfin, Léa Betremieux, dans le personnage de la servante Louison, apporte un contrepoint plaisant à l’ensemble.
Au théâtre Déjazet jusqu’au 10 octobre.
Mise en scène : Martine Amsili
Avec : Anne Jacquemin, Léa Betremieux, Niseema, Annie Sinigalia et Julie Judd.
Visuel: affiche du spectacle.