
La Locandiera de Carlo Goldoni par Alain Françon à La Comédie Francaise
Magnifiquement traduit par Myriam Tanant, la pièce de Goldoni La locandiera par la mise en scène réservée de Alain Françon offre aux comédiens-français un amusement sur l’oisiveté et sur sa jumelle infirmité : l’ennui.
Je n’ai peint nulle part ailleurs une femme plus séduisante, plus dangereuse que celle-ci, prévient Goldoni dans sa préface à La Locandiera. Avec Mirandolina, l”auteur italien renonce définitivement aux masques et crée l’un des premiers rôles-titres féminins dans l’histoire de la Comédie Italienne. Nous sommes en janvier 1753. L’intrigue est une farce sentimentale. Une tenancière, femme d’esprit au charme redoutable fait succomber les voyageurs qui séjournent dans son auberge, notamment un comte et un marquis. Elle s”amuse de son propre magnétisme et de cet effet qu’elle déclenche chez les hommes, un effet qui arrange bien ses affaires. Un chevalier fraîchement descendu à l’auberge agace la jeune femme par sa misogynie radicale et caricaturale. Pour lui donner une leçon elle décide de conquérir son cœur.
Le féminisme de l’époque ne peut prétendre à plus que cela. Mirandolina réussira à rendre amoureux l’énigmatique chevalier avant de le chasser pour se marier avec le valet de l’auberge celui là même que son père avant sa mort lui demandait d’épouser. La morale est sombre. Si l’amusement et la liberté sont autorisés, ils ne sont qu’une mascarade. Il ne s’agit que de théâtre. A la fin de la journée, on aura redit la valeur travail, la primauté du patrimoine et le modèle patriarcal qui impose un maître à chaque femme
Alain Françon s’empare de cette pseudo comédie et riche d’un long compagnonnage initié en 1986 avec la troupe du français, il modèle la pièce au plus prés de son propre penchant pour la réserve. Par un décor froid sans éléments et une direction d’acteur aux mouvements retenus il désérotise le geste. Cet arbitrage est surprenant. Toutefois il se calque sur un hiatus entre le théâtre et le réel érotisé repris par la phrase de la cliente et actrice Déjanira (extraordinaire Coraly Zahonero): Hors de scène, je ne sais point feindre. L’actrice Dejanira est incapable à la ville de jouer la comédie tandis que Mirandolina, simple aubergiste saura construire un jeu, contrefaire un évanouissement afin de donner au Chevalier l’illusion d’être aimé. Goldoni creuse par cette phrase l’écart entre la fiction et la réalité et s’il nous manque la charge sensuelle, elle disparaît au profit d’une déréalisation édifiante.
Florence Viala épouse le biais admirablement et crée une Mirandolina volontaire et froide cependant que délicatement mélancolique. Laurent Stocker le valet à l’instar de Coraly Zahonero, et à l’instar de Noam Morgensztern, serviteur du Chevalier, troisième pied de l’édifice comique, confirme son immense puissance comique. Michel Vuillermoz créé le Marquis de Forlipopoli dans un emploi de fier et hypocrite nombriliste aussi peureux que radin qui semble avoir été écrit pour lui tandis que Hervé Pierre immense acteur reçoit, par une bénédiction qui est son habitude au Français, le rôle pivot. Il est celui qui raconte l’ordre moral et conclut la pièce-aphorisme. Il renonce à Mirandolina en accompagnant l’intrigue. Il personnifie ce monde où seul l’amusement, et peu importe sa densité, a seul projet de trahir l’oisiveté et l’ennui.
La Locandiera
de Carlo Goldoni
Mise en scène Alain Françon
Comédie Francaise
Salle Richelieu
durée 2H00 sans entracte
Crédit Photos © Christophe Raynaud de Lage, coll. Comédie-Française