Théâtre
« La fin du monde évidemment » questionne le rôle du théâtre aux Francophonies 2019

« La fin du monde évidemment » questionne le rôle du théâtre aux Francophonies 2019

02 October 2019 | PAR Chloé Coppalle

La fin du monde évidemment est une pièce mise en scène par Hervé Loichemol d’après un texte de Robert Leroy, en collaboration avec la Compagnie FOR et le Festival International de Théâtre du Bénin (FITHEB). Sous couvert d’une intervention du public qui tourne mal, la pièce aborde plusieurs questions en profondeur.

 

Le tourisme et les rapports de domination

Irène est une femme franco-suisse en voyage touristique au Bénin. Elle apparaît sur scène avec un short et une chemise à manche courte beige, des chaussures de randonnées, et elle aborde le chapeau blanc et rond renvoyant directement à l’habillement colonial. Lors de son voyage, elle trouve un lézard béninois appelé scientifiquement hémidactylus beninensis. Irène est ravie de sa découverte et veut absolument le ramener en France. Mais pour se faire, elle veut savoir s’il est possible de tuer l’animal sans faire d’effraction. Elle demande alors à un jeune homme du public de venir sur scène tenir le sac en plastique dans lequel se tient l’animal, pour fièrement le photographier, comme si c’était un trophée de chasse. De là, une relation complexe avec le public se dévoile sur scène, par laquelle de nombreux sujets sont abordés. Tout part de ce petit lézard pour lequel s’est prise d’attention Irène. Un des premiers thèmes traités par la pièce est le rapport entre l’Occident et la nature. « Vous avez créez la nature et la culture et vous voulez détruire la nature » s’énerve une jeune femme. La pièce dénonce la manière dont les sciences européennes ont absolument voulu tout classer, tout différencier, tout séparer, et le sens de ces classifications qui finalement, n’ont fait que déconnecter l’homme de ce qui l’entoure. Par le personnage d’Irène sont abordés les abus réalisés au nom de la science ou du tourisme, comme celui de vouloir tuer un animal vivant et inoffensif, juste pour le plaisir de ramener de son voyage comme un souvenir de ”l’ailleurs ” qu’elle juge authentique. D’ailleurs, à peine le public défend l’animal, qu’elle parle déjà de réguler les flux pour donner une raison à son geste, témoignant d’un nombre trop important d’un animal dont elle ne connait ni l’espèce ni l’extension. Ces schémas ancrés par l’Histoire naturelle et les sciences en Occident depuis le XIXème siècle sont confrontés au discours du public qui s’insurge contre cette attitude qu’il juge déraisonné, en amenant Irène à réfléchir à ses propres représentations du monde. Sur scène, les personnages approfondissent leurs propos en dénonçant le tourisme de masse qui détruit sans s’en rendre compte, content de son voyage. Irène est l’archétype même de l’image superficielle qu’a construit et développé le tourisme occidental des autres cultures. Elle est l’archétype du touriste contemporain qui voyage beaucoup et librement, sans se poser de questions sur sa propre attitude quand il arrive chez les autres.


Le rôle du théâtre

« C’est parce que je suis une femme, c’est ça ?» se défend Irène. Mais cette excuse est vite balayée par la jeune femme qui s’est levée pour lui rappeler son rôle : « tu es comédienne, alors arrête de nous embêter avec tes histoires ». Et de là se lance un nouveau sujet : étant comédienne, que doit-elle raconter ?

A quoi quoi cela sert-il ? Est-ce que le théâtre est juste une discipline d’initié, auquel cas il faudrait faire un théâtre pour chaque population ? Est-ce que la théâtre doit divertir, aborder les problèmes de chacun ou au contraire montrer une réalité non pas comme elle est, mais comme elle devrait être ? C’est Aimé Césaire qui est sollicité pour donner un élément de réponse à une question sans fin dans laquelle tout peut se projeter. Les personnages interpellent Irène en lui demandant si vraiment elle pense être moderne uniquement parce-qu’elle déclenche une intervention avec le public. Au delà des questions fortes qu’aborde cette pièce, le texte est réellement drôle.

A voir absolument ! 

Visuels : ©Christophe Péan/Les Zébrures d’automne – 2019

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Chloé Coppalle

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