
Henri VI par Thomas Jolly : Shakespeare copieux mais indigeste
Aux Gémeaux à Sceaux et avant le festival d’Avignon, Thomas Jolly présente Henri VI avec l’art pompier de faire crouler l’épopée shakespearienne sous des effets criards et racoleurs. Il signe avec sa compagnie La Piccola Familia un spectacle fleuve où tout passe exagérément en force.
S’attaquer à cette vaste saga quasiment jamais montée dans son intégralité et narrant presque un siècle d’histoire franco-anglaise opposant les maisons royales de Lancastre et de York sur fond de guerre des Deux-Roses avait quelque chose d’à la fois passionnant et grisant pour son envergure et son ambition.
Ce travail entamé en 2012 et accompagné par François Le Pillouër et le festival Mettre en scène du tnb de Rennes ainsi que les théâtres de Cherbourg, Mulhouse, Béthune, Vélisy, remporte un triomphe partout où il passe. Il devrait en être de même au Festival d’Avignon où sont annoncées pas moins de seize heures de représentation cet été. Autant dire que le critique que nous sommes se sent un peu seul à faire entendre sa voix discordante dans l’éloge unanime. Tant pis.
On ne pourra pas nier la maîtrise de Thomas Jolly à la tête d’une entreprise aussi folle, difficile et touffue. Il prend le parti redoutablement malin mais assez basique d’un théâtre de tréteaux ou de foire, joyeux et généreux, qu’il revisite efficacement à la sauce populaire bien d’aujourd’hui des blockbusters et séries télé sans éviter la complaisance et le mauvais goût. Sa mise en scène a le mérite de porter, à défaut d’un véritable point de vue sur l’oeuvre, une grande attention à la limpidité de l’histoire qui se déroule sur un rythme particulièrement alerte mais elle se montre excessivement indicative jusqu’à l’insupportable dans la manière qu’elle a de prendre le spectateur par la main en lui fournissant un trop-plein d’explications et d’univocité.
Le spectacle repose sur un terrible paradoxe : Thomas Jolly est un artiste aussi jeune et frêle que son théâtre est vieux et épais. Incité par l’aspect surdimensionné de l’œuvre, il cède à la frénésie feuilletonnesque des intrigues, s’enfonce dans le gouffre de la surenchère d’effets scéniques (lumières criardes, musiques et bruitages intempestifs) et abuse de grandiloquence dans le jeu d’acteurs. Ces derniers passent tous en force, hurlent sans nuance d’un bout à l’autre, usent d’un ton déclamatoire impossible – pourquoi parlent-ils si fort et ampoulé, se croient-ils déjà au Palais des Papes ?! Tout sonne faux et hyper théâtral. Jules César par Arthur Nauzyciel, Othello ou Hamlet d’Ostermeier, les Contes Africains de Warlikowski ou bien encore les Tragédies Romaines d’Ivo van Hove pour ne citer que quelques récentes réalisations radicalement novatrices et contemporaines, laissaient espérer qu’on ne montait plus Shakespeare d’une manière aussi poussive aujourd’hui. Le spectacle boursouflé de Thomas Jolly donne dans l’entertainment et ne parvient pas à restituer toute la complexité et l’humanité des trois pièces de Shakespeare.
Du vendredi 10 au mercredi 22 janvier à 20h, les dimanches à 15h (horaires exceptionnels). Relâche jeudi 16. Vendredi 10 : épisode 1, samedi 11 : épisode 2, dimanche 12 : intégrale, mardi 14 : épisode 1, mercredi 15 : épisode 2, vendredi 17 : épisode 1, samedi 18 : épisode 2, dimanche 19 : intégrale, mardi 21 : épisode 1, mercredi 22 : épisode 2. Visuels : site internet les gémeaux à Sceaux
Infos pratiques
One thought on “Henri VI par Thomas Jolly : Shakespeare copieux mais indigeste”
Commentaire(s)
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Ducros
Non, vous n’êtes pas seul ! C’est pauvre, il répète jusqu’à l’écœurement les mêmes effets. Il ne sert ni les acteurs qui hurle du début à la fin, ni le texte (ce n’est sans doute pas la meilleure pièce de Shakespeare mais quand même) : aucune poésie ne ressort. On est KO assis, groggy. Il n’en fait rien de ce Henry 6, à part mettre en valeur sa mise en scène à coups d’effets racoleurs. Bref Beaucoup de bruit pour rien…