
#BlackLivesMatter : Pavement de Kyle Abraham.
En plus de 140 caractères, le chorégraphe américain impose la danse comme le vecteur possible d’une éthique de l’attention soucieuse de prêter attention à ce qui compte vraiment.
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Créée en 2012, l’adaptation par Kyle Abraham du film Boyz’n the hood résonne tragiquement avec les événements qui se sont récemment produits dans des villes américaines telles Ferguson ou Charlotte. Difficile, en effet, de ne pas faire le rapprochement entre les violences policières qui chaque jour s’exercent – et de manière plus récurrente qu’à l’égard des blancs – à l’encontre des personnes noires et la scène inaugurale de Pavement. Ainsi, dans la scène inaugurale, Abraham lui-même est mis face contre terre, les bras menottés dans le dos, par un autre danseur – le premier étant noir, le second blanc. La violence du geste n’en est que plus affirmée qu’Abraham n’y oppose aucune résistance. On ne saurait prétendre que cette vignette reflète trait pour trait la vraie réalité de ce qui se joue quotidiennement dans les ruelles obscures des quartiers ghettoisés des Etats-(pas-si)Unis. Ce dont on est sûr, cependant, c’est du talent dont fait preuve Abraham pour créer des scènes sociales percutantes.
Il est un autre registre dans lequel Abraham excelle tout autant, celui de nouer un véritable dialogue entre ses personnages. Qu’il passe par les mouvements des corps ou par les paroles échangés sur le plateau, ce dialogue s’instaure dans des conditions d’extrême précarité : les duos risquant à tout moment de se transformer en altercations ; les appels à l’aide tombant dans la plus grande indifférence, faisant ainsi écho aux revendications émises par tous les sans-parts et autres invisibles.
Fragile, mais résistant, le dialogue s’appuie sur un répertoire musical éclectique et sur la qualité technique de danseurs qui, dans un ballet hip hop, déploient les longues et belles phrases chorégraphiées par Abraham. On pourrait cependant craindre que ce dialogue tombe dans l’oreille d’un sourd car la rage, le désespoir et la lutte qui le nourrissent ne sont pas toujours véhiculés par le corps des danseurs. Comme si la force du message politique se trouvait être diluée dans la performance des danseurs. Mais, Abraham ne cherche-t-il pas justement à nous faire voir les choses sous un autre angle ? A nous convaincre que la résonance d’un propos ne se juge pas à sa virulence mais doit être bien plutôt découverte dans une lecture en creux ? C’est peut-être là que réside précisément le soft power de l’art en général, de la danse hip hop plus particulièrement. Sans bruit et sans coup de force, la danse fissure le tissu du réel pour laisser apparaître ce qui mérite d’être vu, d’être pris en compte – comme chose qui compte et non comme bruit – et peut-être même d’être changé.
Visuel : ©Christopher Duggan