
Elektra : Folie furieuse à l’Opéra Bastille
Par David Desvallées
Sous l’œil esthète de Robert Carsen, cet opéra sombre et d’une violence saisissante nous plonge au cœur d’une Antiquité « primitive ». Irene Theorin incarne une Elektra pleine de rage, une grande Nemesis à l’égal de Birgit Nilsson, dans le rôle-titre en 1974 sous la direction de Karl Böhm.
[rating=5] Adapté de la pièce du poète Hugo von Hofmannsthal (d’après Sophocle), Richard Strauss était d’abord réticent à l’idée de mettre en musique Elektra, craignant que la partition ne soit trop proche de Salomé, créé en 1904. Ce quatrième opéra du compositeur voit pourtant le jour au Semperoper de Dresde, aussi choquant aujourd’hui qu’il l’était en 1909.
Dès les premières notes, une atmosphère empreinte d’une rare violence à l’opéra se dégage. L’histoire se déroule dans l’Antiquité grecque, à Mycènes. Elektra jure de venger la mort de son père Agamemnon, assassiné par sa mère Clytemnestre et son amant Egisthe. Sous la baguette de Philippe Jordan, de très belles pages musicales – monumentales et effroyables – illustrent l’obsession vengeresse, la morbidité jusqu’à l’hystérie.
Le rôle-titre, particulièrement exigeant, requiert une soprano dramatique capable d’une très grande résistance. C’est le cas avec la suédoise Irene Theorin, dont la puissance vocale continue de fasciner tout au long de cette tragédie en un acte. A noter également, la remarquable prestation de Ricarda Merbeth (dans le rôle de la sœur d’Elektra), très appliquée et expressive dans son jeu, et de Waltraud Meier (Clytemnestre).
En s’attelant à Elektra, Robert Carsen poursuit son exploration de l’œuvre de Richard Strauss. Il a mis en scène pas moins de six opéras du compositeur, dont Elektra à Tokyo en 2004. Assisté de Peter Van Praet, R. Carsen réaffirme sa prédilection pour la lumière. Centrale et essentielle, elle recrée ici une esthétique subtile, une noirceur bleutée dont Elektra reste prisonnière. Dépouillé, le plateau décrit un grand espace recouvert de terre et évoque avec poésie le retour à une Antiquité primitive, dominée par l’hubris de ces héros désespérés. Un coup de maître.
© Charles Duprat / ONP