
“De la maison des morts”, Chéreau et Janacek sublimés par Salonen
Créée il y a dix ans à la Wiener Festwochen et passée par le Festival d’Aix, la mise en scène de l’Opéra de Leos Janacek d’après le témoignage de bagne de Dostoïevski, De La Maison des morts, est arrivée à l’Opéra de Paris. Dirigé avec génie par Esa-Pekka Salonen, cet opéra grave et mémoriel a marqué le public de la Bastille qui a ovationné la première, samedi 18 novembre.
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On entre dans les murs gris du bagne du Tsar par un gris anthracite uniforme et multiple comme la tête de la Méduse. Ce sable mortifère gagne les vêtements, les façades et même le spectacle que s’accordent les internés au deuxième acte, puisque Patrice Chéreau ne leur a pas laissé le loisir de jamais quitter la prison de Sibérie.
Tiré du témoignage de Dostoïevski, l’Opéra de Janacek est condensé (1h40) et concentré sur une musique aux variations infinies mais où ne surnage ni le relief d’un personnage principal, ni une intrigue véritable. Goryantchikov (Willard White), Chichkov (Peter Mattei), Louka (Stefan Margita) et Skouratof (Ladislav Elgr) sont autant de voix masculines qui prennent à peine forme par rapport à la masse des détenus. Ils évoquent leurs souvenirs du dehors, d’ailleurs souvent pour raconter comment ils en sont arrivés là et au fur et à mesure que les miradors s’avancent comme des lames de couteaux ou des visages fermés et que l’infirmerie se referme sur la mort de prisonniers dont la vie ne vaut plus rien. Mais sous le fantôme des voix, que Chéreau ne voulait pas qu’on distingue des comédiens, il y a la musique, serrée, noueuse, profonde, que Pierre Boulez avait conduite à l’origine et que Esa-Pekka Salonen dirige avec une concentration et une intensité à la hauteurs de tous les fantômes qui hantent l’Opéra Bastille.
Un moment de communion, de concentration, où le XIXe siècle russe nous ramène plus que jamais à notre XXe siècle européen que les morts ont habité comme un grand cimetière.
visuel : © Elisa Haberer / ONP