
Ana Maria Martinez nous émeut à l’Opéra de Paris dans “Madame Butterfly”
L’opéra de Giacomo Puccini, Madame Butterfly est joué à l’Opéra Bastille de Paris jusqu’au au 13 novembre 2019 dans une mise en scène de Robert Wilson.
Giacomo Puccini (1858-1924) s’est inspiré de la nouvelle de John Luther Long et de la pièce de David Belasco écrites d’après une histoire vraie. L’opéra Madame Butterfly a été composé entre 1901 et 1903. Après un premier échec à la Scala de Milan, cette œuvre, dans sa version actuelle en trois actes, connait un vif succès à Brescia le 28 mai 1904 qui sera, rapidement confirmé, dans le monde entier. L’opéra se situe dans le Japon de l’ère Meiji quand le pays s’ouvre à l’occident après plusieurs siècles d’isolement. C’est aussi l’époque du « japonisme » quand l’art occidental est influencé par l’esthétisme de la poésie et de la peinture japonaise. Le metteur en scène Texan Robert Wilson a eu une formation initiale de peintre et de plasticien. Il a créé pour la première fois Madame Butterfly à l’opéra Bastille en 1993. Il travaille, depuis 1982, avec la chorégraphe Suzushi Hanayagi, spécialiste de littérature et de danses traditionnelles japonaises.
La scène s’ouvre avec pour seul décor un grand écran rectangulaire réalisant un dégradé de couleurs variées : bleu, gris blanc jaune. La lumière peut être froide ou chatoyante. Les costumes, noirs pour les hommes, blancs pour les femmes sont traditionnels mais épurés. La beauté de la voix du ténor Giorgo Berrugi apparait dès le premier solo de Pinkerton. Sa voix se fait chaude, chaleureuse dans sa déclaration d’amour à Cio-Cio-San (Butterfly). La musique met en valeur la beauté du texte. L’arrivée de Butterfly et du chœur des femmes est une procession, comme dans un théâtre d’ombres. Le Japon est évoqué par les costumes et par la chorégraphie. Les mouvements et les déplacements sont lents, très stylisés évoquant le théâtre Nô et obéissant à des codes esthétiques vieux de quatre siècles. Le Japon traditionnel se heurte à la modernité occidentale lors de l’arrivée du Bonze ou lorsque la prière de Suzuki interrompt le duo de Pinkerton et de Butterfly. Une femme titube sur scène répandant une sourde inquiétude ; Nous sommes dans un ballet, le visuel renforcé par les jeux de lumière est captivant. Giorgo Berrugi excelle dans son duo d’amour avec Cio-Cio-San .La soprane Ana Maria Martinez reste dans la retenue comme bridée par son angoisse avant d’être transcendée par l’amour.
En raison d’un problème technique la deuxième partie a été jouée en version concert. Le célèbre air « un bel di vedremo » révèle pleinement Ana Maria Martinez : sa voix est superbe, chaleureuse, émouvante alors qu’elle met toute son énergie à conserver un espoir. Le consul Sharpless apporte les mauvaises nouvelles. Le rôle est magnifiquement tenu par Laurent Naouri : sa voix de basse d’abord mais aussi son jeu de scène ; il est en retrait, comme gêné, attristé puis il se raidit et se fige dans sa tristesse sincère pour Cio Cio San. Lors du retour du bateau de Pinkerton le duo entre Cio-Cio-San et Suzuki en présence de l’enfant, est riche d’émotions et de tendresse. Le spectateur reste suspendu à la musique lors du chœur des femmes chantant bouches fermées. Avec l’arrivée de Pinkerton accompagné de son épouse américaine, la tristesse et le tragique sont palpables, amplifiés par le jeu de l’orchestre. L’interprétation orchestrale de Giacomo Sagripanti est magnifique. La musique devient orageuse, les accents brutaux, redoutables. Ana Maria Martinez est impressionnante dans la tragique scène finale qui se termine par des accords déchirants.
« Qu’il meure avec honneur celui qui ne peut vivre dans l’honneur » s’exclame Cio-Cio-San avant de se donner la mort. Madame Butterfly est un drame japonais et féminin. C’est une tragédie sur les thèmes du sacrifice et de la perte. Elle perd sa famille, son honneur, son amour et son fils. Par la mise en scène et la chorégraphie dépouillées, épurées, Robert Wilson et Suzushi Hanayagi mettent en valeur la musique de Puccini et l’intensité dramatique de son opéra. A l’issu de cette soirée riche en émotions, le spectateur reste imprégné par le sort tragique de Cio-Cio-San et par le « Japonisme » du début du vingtième siècle.
visuels : (c) Svetlana Loboff / Opéra national de Paris