
Soirée “Lander / Forsythe” à l’opéra Garnier : prélude aux adieux de Brigitte Lefèvre
La dernière de ce spectacle, le 4 octobre, sera aussi la soirée d’adieux de Brigitte Lefèvre, directrice de la Danse investie depuis 1995. Elle cèdera ensuite sa place à Benjamin Millepied. Difficile de ne pas voir dans la composition de ce dernier programme une sorte d’hommage aux danseurs d’abord, à la danse en général, et à ses efforts répétés pour insuffler un peu de modernité parmi les ors de l’opéra.
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C’est à la première, que nous assistions ce soir, précédée d’une émouvante cerise sur le gâteau : le célèbre défilé du corps de et des élèves de l’Ecole de Danse. Du fond de la scène éventrée, ce sont tous les danseurs de l’Opéra qui se succédaient, depuis les petits rats au pas encore mal assuré – mais avec tellement de fierté dans le regard – aux étoiles chaleureusement applaudies, d’autant que certaines quitteront prochainement la Maison. Un hommage rendu à toute une génération tournée vers l’excellence.
Place ensuite au programme de la soirée. Pour commencer, Études, ballet créé par le danois Harald Lander, qui fut le maître de Ballet de l’Opéra dans les années 50 et 60. Les plus anciens se rappellent encore de son dévouement dans la transmission de son expérience, lui qui a par exemple introduit la danse de caractère dans le cursus d’études de l’école de danse. Sous un éclairage mettant en valeur les jambes, cœur du travail de l’école française, les danseuses en blanc et en noir évoquent la recherche de la perfection à travers la répétition inlassable des mêmes pas. Trois étoiles étaient convoquées pour virevolter sur cette partition de Czerny adaptée pour l’orchestre : Dorothée Gilbert, Karl Paquette, Josua Hoffalt. Délestée d’une quelconque trame narrative, Dorothée Gilbert nous a éblouis par sa technique magnifique, entre sa précision d’appui au sol et la grâce sculpturale de son dos. Quelques bravos ont fusé depuis le public. Hoffalt semblait aussi particulièrement détendu et souriant ce soir.
Après l’entracte, place à un génie contemporain de la danse, trublion newyorkais à l’inventivité débridée : j’ai nommé William Forsythe, représenté par deux pièces créées pour l’Opéra de Paris en 1999, Woundwork 1 et Pas./Parts. La première, interprétée par deux duos d’étoiles (Dupont/Moreau et Pujol/Ganio) permettait en particulier de mesurer la savante déconstruction du répertoire opérée par le chorégraphe américain, tout en mesurant la technique classique qu’elle exige de ses danseurs. La hanche est très sollicitée, l’équilibre du déséquilibre en permanence sollicité.
Quant à Pas./Parts, il faut rappeler la modernité de sa conception : sur une musique également composée pour lui par Thom Willems, entrelacée de nappes sonores, Forsythe a imaginé toute une suite de tableaux dansés par quelques-uns ou plusieurs danseurs, en se nourrissant de l’improvisation proposée par ces derniers lors de la création. Le résultat est un panaché de sa créativité, une explosion de mouvements rapides et néanmoins contrôlés, une démonstration de sa liberté gestuelle et des possibilités techniques des danseurs actuels dans le contemporain. Une danse résolument impertinente, voire agressive dans les tensions accumulées puis déployées.
Du côté du spectateur, l’œil expérimente une certaine désorientation, une sorte de vertige qui finira par sembler un peu vain, au terme de ces deux heures livrées à la pure exaltation de l’instant. Soulignons au passage la performance du sujet Aurélien Houette (c’est un des mérites de la pièce que de bouleverser la hiérarchie de l’auguste maison), sur la brèche, dans un solo réjouissant. Marie-Agnès Gillot, revenue il y a quelques mois après une pause maternité, ne semblait en revanche pas au mieux de sa forme, dans son trio avec Audric Bezard et Sébastien Bertaud.
Visuels : © Jacques Moatti, Icare, Anne Deniau / Opéra de Paris