
« Body and Soul », une chorégraphie de Crystal Pite pour le Ballet de l’Opéra de Paris
Virtuose, séduisante, mais se terminant mal, la dernière création de la danseuse canadienne engendre une impression mitigée.
Lyrique, dramatique, tragique, pathétique, héroïque, mathématique aussi : chacun de ces adjectifs pourrait tour à tour servir à définir des fragments de la chorégraphie que la chorégraphe canadienne Crystal Pite a conçue pour les danseurs du Ballet de l’Opéra de Paris. Les deux premières parties de « Body and Soul » (Corps et Ame) sont deux moments d’une écriture virtuose qui balaye avec énergie la scène de l’Opéra durant une heure. Crystal Pite possède en particulier un don prodigieux pour régler les ensembles. Ou plutôt pour construire et déconstruire, avec une souplesse admirable, ces ensembles de danseurs qu’elle excelle à créer. Sa langue est fluide, généreuse, inventive. Elle dévore le plateau avec un appétit magnifique, dessinant, défaisant avec art des compositions qu’elle dessine avec un prodigieux savoir-faire.
Plus de Joliesse que de beauté
A la longue pourtant, cette beauté sophistiquée que Crystal Pite laisse filer de ses doigts magiques, cette beauté paraît relever d’un désir de séduire, d’un goût de l’effet, plutôt que d’un sentiment profond. Elle fait songer à un procédé plus habile que sincère. Et n’émeut guère. Les esprits simples vont diront que cela importe peu, puisque ce que produit Crystal Pite est incontestablement beau. On leur rétorquera que lorsqu’une œuvre, aussi belle soit-elle, semble davantage exister par désir de plaire que que pour obéir à une nécessité impérieuse, elle risque d’apparaître jolie plutôt que belle, plutôt aimable que bouleversante.. C’est ce sentiment de contempler quelque chose qui découle d’un incontestable savoir-faire qui nuit à la longue aux deux premiers tableaux de « Body and Soul». Il gâche quelque peu ce sentiment de plénitude à quoi pourrait légitimement prétendre la chorégraphie.
Redondance
Il est encore quelque chose dont on se serait volontiers passé : le texte écrit par la chorégraphe elle-même et dit en voix « off » par la comédienne Marina Hands. Il accompagne très précisément ce que l’on voit sur scène : « Figure1 est étendue au sol. Figure 2 fait les cent pas : gauche droite gauche droite gauche. Droite gauche droite gauche droite. Ses mains bougent sans cesse : touchant son menton, son front, sa poitrine (gauche droite gauche droite gauche) son cou, sa bouche, sa hanche…. ». Et cette redondance entre ce que l’on voit et ce que l’on entend est furieusement exaspérante. D’autant qu’elle dure indéfiniment et ne semble indispensable qu’à Crystal Pite qui, à cette aune, se sent sans doute auteur à double titre.
Magnifique et magnifié
Redingotes noires aux basques flottantes, pantalons bouffants de même teinte, pour les hommes comme pour les femmes : les costumes du premier acte, dessinés par Nancy Briant, sont très sensuels. Et parfaitement sobres. Ils cadrent également bien avec le climat inquiétant diffusé par l’accompagnement sonore imaginé par Owen Belton ou Teddy Geiger et qu’éclairent quelques « Préludes » de Frédéric Chopin. Comme avec la scénographie de Jay Gower Taylor. Elle sera vraiment magnifique lors de l’acte trois (mais alors habitée par des costumes diaboliques). Magnifique et magnifiée par les lumières remarquables de Tom Visser. Mais alors Crystal Pite s’égare dans des scènes de très mauvaise science-fiction avec, de plus, une figure d’hominidé hirsute parfaitement grotesque et infantile. Le décalage entre les deux premiers actes et le dernier qui n’apporte rien, mais ne dure heureusement qu’un gros quart d’heure, apparaît aussi incompréhensible qu’est lamentable cet ultime tableau qui fait brusquement douter de l’intelligence et de la maturité de l’auteur. Qu’à cela ne tienne ! Le public est extatique. Il acclame une production qui aurait pu l’être sans ce dernier volet qui brouille tout.
Autant de vigueur que de savoir-faire
Et les danseurs ? Et bien, les danseurs sont magnifiques. Sans doute ont-ils eu un infini plaisir à collaborer avec la chorégraphe canadienne. Dans ce travail qui requiert autant de vigueur que de savoir-faire, au cours de cette chorégraphie qu’on imagine aussi difficile à servir qu’elle doit être séduisante à exécuter pour les interprètes, ils sont même éblouissants. Souplesse de tout le corps, attention extrême, rage de servir ce qu’ils vivent sans doute comme une célébration enivrante de leurs qualités, tous les danseurs sont remarquables. Tous, et non pas seulement ceux qui bénéficient de duos qui les mettent en valeur. Tous, fugitivement pour les uns, plus longuement pour les autres. Même si le travail de Crystal Pite peut ne pas convaincre pleinement, elle sait assurément flatter le talent d’une génération de danseurs dont l’état d’esprit apparaît aujourd’hui à des années-lumière de ceux des générations de la fin du dernier siècle.
« Body and Soul ». Chorégraphie de Crystal Pite pour le Ballet de l’Opéra de Paris.
Visuel : Julien Benhamou (c) ONP
Infos pratiques
2 thoughts on “« Body and Soul », une chorégraphie de Crystal Pite pour le Ballet de l’Opéra de Paris”
Commentaire(s)
Publier un commentaire
Votre adresse email ne sera pas publiée.
Publier un commentaire
Votre adresse email ne sera pas publiée.
Mendel Péladeau-Houle
Si je me fie aux commentaires que je lis, le troisième acte a unanimement déplu. Il articule pourtant le corps et l’âme autrement, critique, il me semble, le triomphe de l’homme sur le vivant. La manière veut évidemment choquer, dans le Palais Garnier après un acte plus classique. Mais je ne pense pas que ce soit une transgression vide de sens.
Pascal
Bonjour,
savez-vous si ce ballet va tourner en province ?