
Ghost “Skeleta” : le grand œuvre baroque du groupe suédois !
Avec Skeleta, Ghost poursuit son étrange procession à travers les arcanes du metal occulte. Dix titres pour une messe noire grandiloquente, mais plus introspective qu’à l’accoutumée. Tobias Forge et ses musiciens signent ici un disque plus dense, plus noir, où le groove pop cohabite avec les ombres du baroque et les griffes du doom metal. Voici l’autopsie, morceau par morceau, d’un squelette bien en chair.
Déjà la pochette en forme de triptyque pictural nous surprend. Au centre, un crâne stylisé, blanc et figé, trône en majesté. De part et d’autre, deux panneaux peints dévoilent des paysages crépusculaires, traversés de cascades silencieuses et de lueurs orangées. L’eau y coule, presque immobile, comme suspendue dans le temps. Ce contraste saisissant entre la chaleur des couchers de soleil et la froideur minérale du motif central donne immédiatement la tonalité de ce que l’on va écouter. Dès Peacefield, l’album s’ouvre sur une fanfare funèbre. La voix de Tobias Forge, scandée comme une prière morbide, installe une atmosphère de fin d’époque derrière des nappes de claviers inquiétantes, une basse charnue et des guitares tranchantes jouées à la tierce. Ballade funèbre aux accents gothiques new wave, Lachryma évoque le deuil d’un amour perdu. Dans les couplets, la voix rappelle celle de Layne Stanley (Alice In Chains). Sur Satanized, changement de ton radical . Porté par un riff hargneux, une double batterie en forme de marche nuptiale, la ligne vocale est scandée avec la solennité d’un prédicateur. Ghost retrouve ici son goût pour le détournement des codes du metal. A travers des images flamboyantes, d’exorcismes ratés, de croix inversées d’anges déchus, Tobias Forge en prêcheur décadent déploie un langage théâtral pour dénoncer une société qui tout en prétendant chasser le mal en cultive les germes. Lourd et accrocheur, le refrain est une enclume parfaite pour pogoter dans la fosse. Harmonies planantes, arpèges cristallins et nappes de mellotron Guiding Lights évoque les grandes heures du rock progressif. Les guitares acoustiques s’entrelacent, les claviers s’ouvrent et le chant s’apparente à une prière bouleversante. Un sommet de grâce mélodique où le fantôme de Pink Floyd rôde en filigrane. Mid-tempo massif, au riff plombé et au groove hypnotique Cenotaph est une méditation sur le deuil et la mémoire des êtres chers disparus. Missilia Amori ( Les Missiles de l’amour) est une ballade baroque-pop aux allures de chanson d’amour ténébreuse qui explore les dérives d’une passion dévorante qui se mue en obsession , voir en menace : “Love rockets shot right in between your eyes…” le message est clair. Le martial Marks of the Evil One est l’un des titres les plus addictif de l’album, un morceau de pure énergie noire. Riffs tranchants, basse bourdonnante, Tobias Forbe redevient le Grand Inquisiteur au milieu de ces guitares à la tierce et de ces chœurs latins tourbillonnants. L’album s’achève en apothéose avec Excelsis un titre à mi-chemin entre l’oratorio et l’opéra rock. Tous les motifs de l’album y convergent : voix qui s’envole vers les cieux, guitares héroïques, batterie solennelle. Le morceau débute comme un chant liturgique avant de basculer dans une cavalcade épique. Forge chante comme un prêtre en ascension, porté par une orchestration lumineuse et luxuriante. Le refrain est immense, presque héroïque, comme si Lucifer lui-même montait au ciel. L’orchestration est luxuriante, digne d’une bande-son d’apocalypse. Skeleta est peut-être le disque le plus cohérent de Ghost à ce jour. Plus dense que Impera, plus sombre que Prequelle, il mêle avec maîtrise le souffle baroque à la noirceur du metal. Un album qui danse avec la mort, mais ne perd jamais le sens du show.
Jean Christophe Mary
Skeletá ( Concord Records)
1-Peacefield
2-Lachryma
3-Satanized
4-Guiding Lights
5-De Profundis Borealis
6-Cenotaph
7-Missilia Amori
8-Marks of the Evil One
9-Umbra
10-Excelsis