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“Cosi Fan Tutte” de Wolfgang Amadeus Mozart : la mise en scène d’Anne Teresa De Keersmaeker, laboratoire de l’érostisme !

“Cosi Fan Tutte” de Wolfgang Amadeus Mozart : la mise en scène d’Anne Teresa De Keersmaeker, laboratoire de l’érostisme !

12 June 2024 | PAR Jean-Christophe Mary

Avec six chanteurs doublés de six danseurs, la chorégraphe Anne Teresa De Keersmaeker met en scène le désir qui unit et sépare les êtres, pareil aux interactions entre les atomes qui, quand elles se brisent, rendent possibles de nouvelles liaisons. Sous la direction musicale de Pablo Heras-Casado, l’orchestre de l’Opéra national de Paris joue la dernière musique composée par Mozart avec le librettiste Da Ponte. Ce laboratoire de l’érotisme ne pouvait qu’inspirer Anne Teresa De Keersmaeker, chorégraphe, qui excelle à rendre visible sur scène la géométrie profonde des œuvres.

« Dans la mise en scène de Così fan tutte confiée à Anne Teresa De Keersmaeker, la musique et la danse sont intimement mêlées. En doublant chaque chanteur d’un danseur, la chorégraphe belge, fondatrice de la compagnie Rosas, révèle les sinuosités du désir et les attirances des corps au cours du chassé-croisé amoureux écrit par Mozart avec son librettiste Lorenzo Da Ponte. Pour leur troisième collaboration après Les Noces de Figaro et Don Giovanni, les deux complices s’emparent d’une histoire aux allures de vaudeville. Sans illusion sur la nature humaine, Don Alfonso décide d’éprouver la fidélité des femmes : leurs fiancés font mine de partir à la guerre et reviennent les séduire sous d’autres identités ». Provoqués par Don Alfonso, philosophe cynique, deux jeunes officiers idéalistes décident de mettre à l’épreuve la fidélité de leurs futures épouses. L’amour leur infligera une amère leçon : ceux qui se croyaient phénix et déesses se découvriront corps désirants… Nous sommes en 1790, un an après la Révolution française, lorsque, pour ce qui sera leur dernière collaboration, Mozart et Da Ponte choisissent de mener cette expérience amoureuse et scientifique. Étrange musique que celle de ce Così fan tutte, complexe dans sa symétrie, souriante et pourtant d’une mélancolie presque sacrale. Étrange musique dont chacune des notes semble destinée à nous faire accepter la perte – perte du paradis, perte de la jeunesse, perte de l’être aimé – pour dessiner un monde où tout se transforme, tout est mouvement. Cosi fan tutte est le dernier des trois opéras que Mozart a composés sur un livret de Da Ponte. L’œuvre a longtemps été jugée frivole et insignifiante, voire triviale. Ce n’est qu’au début du XXe siècle qu’elle a été réhabilitée, la plaçant sur un plan d’égalité avec Les Noces de Figaro et Don Giovanni. Sans rôle-titre, ni personnage principal, Cosi fant tutte est avant tout un opéra d’ensembles, un jeu entre six personnages. Contrairement aux noces de Figaro adapté de la pièce de Beaumarchés et à Don Giovanni adapté de celle de Tiersot de Molina. Le livret de Cosi fan tutte n’est pas l’adaptation d’une œuvre littéraire. L’anecdote des deux hommes qui décide de parier sur la fidélité de leurs amantes et finissent trompés serait inspiré d’une histoire véridique qui circulait dans les salons viennois de l’époque. L’intrigue est simple?: deux jeunes officiers, Ferrando et Guglielmo, sont fiancées à deux sœurs, Dorabella et Fiordiligi. Au sein de ces deux jeunes couples aucun ne doute de la fidélité de l’autre, jusqu’au jour où Don Alfonso affirme à ses deux amis que la fidélité des femmes est légendaire. Avec l’aide de la femme de chambre Despina, il propose aux deux officiers de mettre leurs futures femmes à l’épreuve. Les deux amis feignent un départ précipité pour la guerre et reviennent déguisés en « Albanais ». Chacun des deux séduit la fiancée de l’autre. Devant leur résistance, ils vont même simuler un empoisonnement dont Despina déguisée en médecin les sauvera. Finalement les deux sœurs, se laissent attendrir et cèdent aux avances des deux Albanais, allant jusqu’aux portes du mariage que Despina, cette fois travestie en notaire, s’apprête à célébrer au moment où la supercherie est révélée. Don Alfonso, qui gagne ainsi son pari, pourra s’écrier «?Cosi fan tutte?»?: « Ainsi font-elles toutes ». Mozart a donné la priorité aux ensembles pour mieux entremêler les personnages. La principale caractéristique de Cosi fan tutte est d’être un opéra d’ensembles. Il n’y a pas de rôle-titre, ni même véritablement de rôle principal, mais un quatuor constitué des quatre jeunes gens, qui vont être manipulés par Don Alfonso et Despina. Chacun des personnages possède son importance propre et participe à l’intrigue. L’ouvrage comporte quinze ensembles et deux finales pour onze airs. L’ensemble le plus célèbre est très certainement le trio des adieux «?Soave sia il vento?» chanté par les deux sœurs et Don Alfonso, qui prient pour que les vents soient favorables aux deux officiers soi-disant partis à la guerre. Il s’agit d’un moment d’une délicatesse et d’une sérénité absolues, dans lequel les cordes et les bois évoquent le murmure du vent et des vagues. Au tout début de l’opéra, la première scène n’enchaîne pas moins de trois trios, au cours desquels va se nouer le pari que lance Don Alfonso. Toujours à l’acte I, le quintette «? Sento, o dio?» est un autre grand moment. Les deux sœurs expriment leur chagrin devant leurs fiancés qui feignent le désespoir, le tout en présence de Don Alfonso plus ironique que jamais. Il faut aussi souligner, au début de l’Acte II, le duo qui marque le revirement des deux sœurs «?Prenderò quel brunettino?» dans lequel elle choisissent, sans le savoir, le fiancé de l’autre «?Je prendrai ce petit brunet?» chante Dorabella en parlant de Guglielmo, le fiancé de Fiordiligi tandis que cette dernière affirme «?Avec le blondinet je veux un peu rire et plaisanter?» en parlant de Ferrando, l’amant de sa sœur. Pour ces douze nouvelles représentations, on est heureux de retrouver la mise en scène de la chorégraphe Anne Teresa De Keersmaeker qu’elle avait crée ici en 2017 après avoir signé pour l’Opéra national de Paris, le Rain (2011), Die Grosse Fugue (2015), les six concertos brandebourgeois ( 2019) et l’Après midi d’un faune (2020). Plaisir d’autant plus satisfaisant que la nouvelle distribution s’annonce très haut de gamme. Le rôle de Fiordiligi, sœur de Dorabella et promise à Gugglielmo, nécessite une grande aisance scénique un chant parfait pour interpréter le rôle de cette femme fidèle qui finira par succomber à la brûlante déclaration de Ferrando. Ce que devrait être Vannina Santoni, que l’on a vu triomphé à l’Opéra de Paris dans Carmen « Frasquita » (2017) et la Flûte Enchantée (2019). Dans le rôle de Dorabella, jeune femme mutine et sentimentale, on retrouvera l’américaine Angela Brower, l’une des mezzo-sopranos lyriques les plus convoitées de sa génération, dotée d’une grande agilité et spécialisée dans les rôles mozartiens (Les Noces de Figaro, La Clémence de Titus). Sa voix très expressive doté d’un beau timbre solaire devrait raisonner de belle manière dans les rondeurs de Garnier. Avec ses airs de jeune premier, on a hâte de retrouver le baryton-basse canadien Gordon Binter découvert à l’Opéra national de Paris dans « A Quiet Place »(2022) qui a le timbre clair, puissant et la tête de l’emploi pour incarner l’officier Guglielmo, l’un des rôles clés de ce dernier grand opéra de Mozart. Le ténor canadien Josh Lovell qui fait lui ses débuts sur la scène de l’Opéra National de Paris incarne l’officier Ferrando. Dans le rôle des deux grands manipulateurs, on attend la belle performance de la soprano coréenne Hera Hyesang Park en Despina machiavélique et celle du baryton brésilien Paulo Szot pour camper un  Don Alfonso sournois et fourbe. Côté danseurs, on retrouvera la troupe qui était déjà présente à la création en 2017, soit Cynthia Loemij (Fiordiligi), Samantha Van Wissen (Dorabella), Marie Goudot (Despina), Julien Monty (Ferrando) Michaël Pomero (Guglielmo) et Carlos Garbin (Don Alfonso) Si on ajoute à cela les décors et lumières de Jan Versweyveld, les costumes d’An D’Huys et une direction d’orchestre confiée à Pablo Heras-Casado, cette reprise raisonne déjà aux airs de triomphe. Dépêchez-vous de réserver !

COSI FAN TUTTE A l’Opéra Garnier à Paris. Photo : Benoîte Fanton / OnP

Jean-Christophe Mary

Palais Garnier – du 10 juin au 09 juillet 2024

Durée : 3h25 avec 1 entracte

Langue : Italien

Surtitrage : Français / Anglais

 

    Wolfgang Amadeus Mozart : Musique (1756 – 1791)

    Lorenzo Da Ponte : Livret

    Pablo Heras-Casado : Direction musicale

    Alessandro Di Stefano : Chef des Chœurs

    Anne Teresa De Keersmaeker : Mise en scène et chorégraphie

    Jan Versweyveld : Décors et lumières

    An D’Huys : Costumes

    Jan Vandenhouwe : Dramaturgie

 

 

Distribution :

Vannina Santoni : Fiordiligi

Angela Brower : Dorabella

Hera Hyesang Park : Despina

Josh Lovell : Ferrando

Gordon Bintner : Guglielmo

Paulo Szot: Don Alfonso

Cynthia Loemij : Fiordiligi (Danseuse)

Samantha Van Wissen : Dorabella (Danseuse)

Marie Goudot : Despina (Danseuse)

Julien Monty : Ferrando (Danseur)

Michaël Pomero : Guglielmo (Danseur)

Carlos Garbin : Don Alfonso (Danseur)

 

 

 

 

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