
Picasso bleu et rose au musée d’Orsay : Chefs-d’oeuvre !
Tandis que le musée Picasso disserte en ses murs sur la notion de chef-d’œuvre chez le maître espagnol, le musée d’Orsay évoque les jeunes années de l’artiste, sous l’égide du commissaire Laurent Le Bon (également président du musée Picasso). Un parcours magnifique, tout en nuances, qui tord le cou au découpage trop sommaire que l’histoire a retenu, soit une période bleue suivie d’une période rose.
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Picasso a connu une des carrières les plus longues et les plus prolifiques du XXe siècle, travaillant sans relâche pendant plus de soixante dix-ans pour produire des milliers de peintures, sculptures, dessins, gravures. Or cette exposition revient en détail sur une période courte mais extrêmement intense et déterminante, soit l’intervalle compris entre le premier voyage de Picasso à Paris pour l’Exposition universelle de 1900 et les prémices de l’aventure cubiste en 1906 (qui l’occupera ensuite jusqu’à la Première Guerre mondiale).
Quelle idée principale retenir ? Sans doute que, comme toujours chez Picasso, rien n’est aussi simple qu’il ne semble à première vue : la période rose est déjà en germe dans certaines œuvres de la période bleue ; Arlequin s’invite dès la période bleue, bien avant les Saltimbanques de la période rose ; la période rose tourne vite à l’ocre, au contact des paysans de Gósol et de la terre des Pyrénées catalanes ; et enfin l’art ibère a exercé une influence au moins aussi importante que l’art africain dans la recherche d’un nouveau langage primitif.
Rare sont les artistes pouvant soutenir sans coup férir un tel matraquage d’expositions de par le monde, si l’on songe que le programme Picasso-Méditerranée doit encore perdurer jusqu’à l’automne 1919. Qu’à cela ne tienne, et peut-être son génie est-il là, le jeune homme pétri de culture catalane qui débarque à Paris sans le sou et sans connaître un mot de français, possède déjà un bagage artistique complet, un regard éclairé sur les maîtres du passé et un talent indéniable pour s’acoquiner avec ceux qui le porteront au pinacle, depuis Ambroise Vollard à Max Jacob en passant bientôt par Apollinaire. Ainsi, nulles scories égarées dans cette exposition qui, bien qu’elle corresponde finalement à la genèse de l’œuvre de Picasso, tient toutes ses promesses et sublime nos attentes.
De la Femme en bleu au visage inquiétant, comme perdue dans sa crinoline mordorée, à la Famille de Saltimbanques et au Nu en rouge, un monde se transforme sous nos yeux, et les flonflons de la Belle-Époque sont vite oubliés pour raconter le sort des prostituées internées à la prison Saint-Lazare. Les deuils sont portés, puis la vie renaît avec Fernande jusqu’au retour de l’enfant prodigue au pays natal, le temps d’une refondation complète de sa peinture, en passant par la sculpture.
Un certain nombre de ces chefs-d’œuvre sont en mains privées, de sorte que les réunir était une gageure, et les articuler de façon à rendre intelligible les multiples influences en jeu à chaque instant en était une autre. Pari tenu : la déambulation renouvelle les temps forts, et les nuances chromatiques et variations de textures sont époustouflantes.
Une dernière brillante idée : refermer l’exposition par une cimaise présentant différents ouvrages traitant de la période bleue de Picasso. Nous comprenons que l’histoire de l’art fut longtemps étudiée à partir de reproductions en noir et blanc, et que lorsque la couleur parut, les écarts de ton étaient importants… De quoi achever de nous convaincre que Picasso vaut, une fois de plus, le détour, voire le voyage.
“Demain, on fera fête aux œuvres de Pablo Ruiz Picasso”, Gustave Coquiot, 1901
Visuels © Autoportrait, 1901, Paris, musée national Picasso, dation, 1979
Le Meneur de Cheval, 1905-1906, MoMA © The Museum of Modern Art, New York/Scala, Florence © Succession Picasso 2018