
“Désirs et volupté à l’époque victorienne” au musée Jacquemart-André
Alors que le musée d’Orsay s’apprête dévoiler les atours du sexe fort, le musée Jacquemart-André nous invite à célébrer la femme dans toute sa sophistication, telle que les esthètes et les artistes de l’Aesthetic Movement l’ont fantasmée sous le règne puritain de la reine Victoria.
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Nous qui nous enorgueillissons de la modernité de nos impressionnistes, qui célébraient les trains entrant en gare et l’agitation de la vie citadine, nous pourrions montrer une réticence légitime face aux tableaux décadents des peintres victoriens, en dépit de la promesse sensuelle du titre de l’exposition. Pourtant, bien plus qu’un mouvement rétrograde, ces peintres – dont certains s’étaient déjà illustrés dans le mouvement Préraphélite, comme Millais, Rossetti, Burne-Jones – nous éblouissent au contraire par la richesse de leur imaginaire.
Dans une Angleterre corsetée par le puritanisme de Victoria et sa cour, le retour sur l’Antiquité permet à ces artistes férus d’archéologie (nombre d’entre eux ont souscrit à la mode du Grand Tour) de révéler les corps féminins à travers les drapés mouillés des tuniques, quand leurs héroïnes ne sont pas présentées dans le plus simple appareil, sous un vague motif mythologique.
Modernes, Leighton, Moore, Godward, Hugues, Strudwick le sont à leur façon, quand ils s’efforcent de répondre aux attentes d’une nouvelle clientèle, celle des hommes d’affaires enrichis dans le sillage de la toute-puissance de l’Empire britannique, et qui aspirent à refléter cette aisance dans leurs intérieurs. Cette nouvelle classe, loin de mépriser les artistes comme le faisaient les membres de l’aristocratie, s’approprie leur esthétisme en quête d’une pure beauté formelle, dont nous connaissons un équivalent en France avec “l’art pour l’art” de Théophile Gauthier.
Car c’est là un autre intérêt majeur de cette exposition, au-delà du raffinement et de la sensualité de ces peintures qui sont présentées pour la première fois chez nous depuis le tout début du XXe siècle : familiariserr le public français avec les racines de la culture britannique, de celles qui remontent à la geste arthurienne en passant par le Livre d’Henoch (livre apocalyptique apocryphe), sans oublier le goût pour les enchanteresses et la sorcellerie, dont on peut suivre la trace jusqu’à un certain Harry Potter…
La littérature est une autre source d’inspiration fondamentale, et nombreux sont les tableaux inspirés par des poèmes contemporains de cette époque, commis par Tennyson ou Meredith. S’ils sont souvent un prétexte plus qu’un support narratif, ils contribuent à nourrir la mélancolie des regards et l’indolence des postures, érigeant sur un piédestal le canon britannique des grandes anglaises au blond vénitien et au teint de porcelaine.
Salle après salle, dans un décor confinant au kitsch mais qui met l’accent sur l’aspect volontairement décoratif de ces œuvres, le musée Jacquemart-André réussit une fois de plus à proposer un sujet inédit, dans une proposition articulée et riche. Le collectionneur mexicain Simon Perez peut à nouveau se réjouir de l’hommage rendu à sa collection, après la découverte de ses maîtres espagnols en 2010.
Visuels : (c) Collection Pérez Simón © Studio Sébert Photographes