
“Le livre d’Aron” : Jim Shepard ressuscite le ghetto de Varsovie
Originaire du Connecticut, l’écrivain américain Jim Shepard connaît une carrière respectable en son pays. Récompensé par un Massachusetts Book Award en 2005, puis un Story Prize en 2007, ce professeur de “creative writing” publie régulièrement des nouvelles dans diverses revues littéraires. Son dernier roman, The Book of Aron, paru en 2015, a remporté un grand succès critique. La traduction française sort ces jours-ci.
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Jim Shepard est un homme curieux, de son époque, de ses contemporains. Nombre de ses fictions reposent sur des événements historiques ou dramatiques, comme l’explosion de Tchernobyl ou un tremblement de terre en Alaska, et donnent lieu à des recherches historiques approfondies.
C’est le cas de ce dernier opus, comme en témoignent les longs remerciements adressés en fin d’ouvrage. Il faut dire que le sujet était particulièrement sensible et grave ici, puisque Jim Shepard a choisi pour cadre le ghetto de Varsovie, enfermant son lecteur et ses personnages au cœur de ce vaste cloaque déshumanisant mis en place par les autorités nazies dès 1940.
Le tour de force de l’auteur consiste à situer le récit à la hauteur de son jeune jeune personnage, Aron. Les conditions de vie sordides qui sont réservées aux familles juives au sein du ghetto n’en apparaissent que plus crûment, à travers le regard tour à tour incrédule et féroce des enfants entre eux, qui découvrent pêle-mêle la solidarité, le vol, le mensonge, la trahison.
Au-delà du typhus, de la crasse, des poux et de la famine, se jouent des drames humains aussi poignants que tragiques, où les rares instants de tendresse apparaissent se détachent comme des bouffées d’air salutaires dans une atmosphère irrespirable, dont la lecture se tient à la limite de l’insoutenable.
Lorsque les parents d’Aron disparaissent dans des circonstances tragiques, l’orphelin se dirige malgré lui vers l’établissement tenu par Janusz Korczak. Figure héroïque, ce médecin polonais a refusé toutes les possibilités d’évasion ou de contournement, pour accompagner ses pupilles dans leur dernier voyage jusqu’à Treblinka. Auparavant, il aura brûlé ses dernières forces pour tenter d’adoucir le sort des gamins à sa charge, sans jamais renoncer à leur transmettre des valeurs, avec une humanité hors du commun.
Un hommage incontournable aux victimes du ghetto de Varsovie et de l’Holocauste.
Il a dit que dans une maison, la semaine d’avant, il avait découvert six enfants sur un matelas mouillé et tout moisi. Et comme je ne parlais toujours pas, il a lancé : “Triste, on l’est tous, non ? ” Le monde n’était qu’une unique et immense tristesse. Ce qu’on devait faire, c’était imaginer qu’on ne vivait pas dans le pire endroit de l’univers mais qu’on était entourés de cigales et de vers luisants.
p. 160
Jim Shepard, Le livre d’Aron, traduit de l’américain par Madeleine Nasalik, Éditions de l’Olivier, 240p.Sortie le 11/02/2016, 21 €