
“Pierre Bonnard : peindre l’Arcadie” : luxe, calme (feint) et volupté à Orsay
Aucune rétrospective ne semble parvenir à épuiser l’exégèse de la peinture de Pierre Bonnard. Après l’exposition de 1984 sous la houlette de Jean Clair et celle du Musée d’Art moderne en 2006, c’est au tour du musée d’Orsay de se prêter à l’exercice. Bienvenue dans le règne de la couleur exultante.
[rating=4]
Comment s’immiscer dans l’œuvre d’un peintre qui a embrassé tous les genres, a croisé la route de plusieurs figures majeures de la première moitié du XXe siècle, avant de finir presque démodé et désavoué ? L’exposition prend un parti assez radical : si elle fait la part belle à la photographie, montrant l’usage à la fois intime et pictural qu’en fait Bonnard dans une section complète, elle exclut radicalement le dessin et la lithographie, en dépit de leur importance au début de la carrière de Bonnard.
Néanmoins, ce qui frappe en traversant ces salles thématico-chronologiques, c’est la capacité de Bonnard à forger une œuvre extrêmement personnelle et intime, tout en subissant bien volontiers l’influence des peintres qu’il admire. Ainsi, outre les estampes japonaises, dont on sent l’inspiration dans ses cadrages et ses formats verticaux tout au long de sa carrière, on reconnaît tour à tour Vallotton, Vuillard, mais aussi Degas, pour ses toilettes et ses danseuses, Matisse pour ses paysages fauves, son goût pour l’ornement et les jeux de fenêtres, ou encore Monet et Renoir.
Mais ce que montre aussi l’exposition, c’est combien Bonnard ne s’est jamais résolu à choisir entre la peinture d’intérieur et le paysage. Marthe est demeurée son “continent noir”, une muse dont il connaît les moindres recoins de chair, sans pourtant saisir tous ses tourments intérieurs. Comme pour ériger un contrepoint à cette exploration vertigineuse de l’intime féminin, Bonnard se met alors au diapason de la nature, multipliant les paysages avec la puissance d’un Renoir qui refuserait pourtant d’associer le corps de Marthe aux paysages qu’il sublime de sa palette toujours plus expressive.
La couleur, donc, comme horizon infini. Saluons d’ailleurs le soin apporté à celle des cimaises, qui s’accorde dans chaque salle avec la palette chromatique des toiles exposées, du blanc ivoire à l’ultraviolet, en passant par un vert d’eau ou des nuances de parme.
La suite du parcours fait la part belle aux œuvres décoratives de Bonnard, sortes d’immenses tapisseries-tableaux qui évoquent davantage les arts décoratifs que la fresque. La dernière grande salle rend particulièrement hommage à la majesté de ses compositions, exécutées pour des commanditaires aussi éclectiques que Misia Sert, ex-épouse de Thaddée Natanson, fondateur de la Revue blanche ou le collectionneur russe Ivan Morozov. La couleur explose, rugit presque avec les Fauves, exulte la joie de vivre des cafés en ville comme des parapets avec vue sur la mer.
Qu’il fait bon vivre, dans l’Arcadie rêvée de Bonnard.