Théâtre
Événement au Théâtre 14 : Yuming Hey revisite Platonov. Foutraque et brillant.

Événement au Théâtre 14 : Yuming Hey revisite Platonov. Foutraque et brillant.

03 June 2025 | PAR David Rofé-Sarfati

Le Théâtre 14 accueille une œuvre théâtrale hors du commun : « Les Déshérités », une adaptation audacieuse et contemporaine de « Platonov » de Tchekhov. À ne pas manquer !

Nous l’attendions avec une curiosité perplexe. Voyons donc cette mise en scène de Yuming Hey, elle est une plongée profonde, une marche, au cœur d’une jeunesse désabusée, qui cherche, qui tâtonne, dans un monde qui semble avoir perdu sa boussole. Il y a du « White Lotus », du « Gossip Girl », certes. Mais ce n’est point là un simple divertissement. Yuming Hey nous offre une expérience avec laquelle la musique, la danse, le jeu des acteurs, tout cela se mêle, s’entrelace. Pour créer un langage scénique qui parfois frôle le music-hall, mais sans jamais céder à son esbroufe, à son superflu.

Les âges, les genres, tout cela s’estompe et nous voilà plongés, immergés dans un univers où l’identité même se perd, se dissout, devant la vérité des corps et des âmes.

Les Déshérités, ce n’est pas une simple pièce de théâtre, c’est une encyclopédie de nos fantasmes, une rêverie les yeux grands ouverts. C’est une chute aussi, une chute sans fin, sans but, pour une génération, privée de ces figures tutélaires. Les tableaux s’enchaînent ; au bout du compte, au terminus, il n’y a que le vide, le drame du vide, qui nous attend.

L’action est connue. Elle se déroule dans le domaine d’Anna Petrovna (Yuming Hey), où l’on cause d’héritage, d’ennui, de souvenirs d’antan. Mais l’arrivée de Sofia (magnifique Eden Ducourant), cet amour ancien de Platonov (frémissant Leo Gardy), voilà qui bouleverse tout ! Platonov, instituteur désabusé, cynique, entouré de ces âmes errantes, de ces êtres en quête de sens, traverse l’ennui, l’amour, et toutes ces illusions perdues.

Le caractère tragique de Tchekhov est respecté, gardé. Yuming Hey nous emmène, avec sa troupe, vers cette tragédie, d’épisode en épisode. Lentement, la joie, la ferveur de l’adolescence s’éteignent, laissant la place à ces corps qui ne sont plus que déchets d’une vie. C’est désespérant, certes, mais ô combien splendide, en même temps.

Cette merveille théâtrale, d’une durée impressionnante de près de 10 heures (programme en bas de page), se dévore littéralement. La beauté du geste et le talent de la troupe emmenée entre autres par Manon GuilluyChloé AngevinMarion de Schroeder ou encore Léo Gruiec et l’immense Gilles Nicolas, trop rare sur scène, nous fascinent.

Une œuvre qui fait date.


LE PROGRAMME

EN 7 ÉPISODES – ENTRACTES COMPRIS

14h – épisode 1
L’été revient : le début d’une nouvelle ère.
Durée 45 mn

Dans son riche domaine de Voïnitsevka,  Anna Petrovna, veuve désargentée et charme toujours intact, reçoit ses amis pour l’été. On y parle héritage, ennui et réminiscences de jeunesse. Parmi les invités : Mikhaïl Platonov, ancien espoir intellectuel devenu instituteur désabusé, marié à la douce et transparente Sacha. Mais tout bascule avec l’arrivée inattendue de Sofia Iegorovna, l’amour de jeunesse de Platonov, désormais mariée à son ami Sergueï Voïnitsev. Les regards se croisent, les souvenirs ressurgissent. La tension s’installe.
 

15h05 – épisode 2
Que sa fin soit aussi lente et douce que son commencement.
Durée 45 mn

Tandis que les convives tentent de masquer leur malaise derrière les politesses du déjeuner, les vieux sentiments suintent à travers chaque réplique. Sofia et Platonov se jaugent à distance, incapables de nier leur trouble. Les conversations s’enveniment : politique, morale, avenir… chacun projette ses frustrations sur l’autre. La table est dressée, mais personne n’a vraiment faim. Le repas commence à peine que tout le monde est déjà saturé. Derrière l’attente du déjeuner, c’est le festin des illusions perdues qui se profile. Un complot se trame pour racheter le domaine de Voïnitsevka. 

16h10 – épisode 3
Une victime inutile.
Durée 1h

Le soleil décline et les vérités commencent à tomber. Platonov confronte Sofia sur leur amour passé. Anna, lasse de jouer la mondaine, dévoile à Platonov son attirance. De toutes ces confrontations, il en restera une victime: Grékova. Dès lors, tout bascule et le retour en arrière n’est plus possible. La perversion narcissique de Platonov le dépasse.

17h30 – épisode 4
Aujourd’hui des misères, demain des excuses, manies d’aristocrate.
Durée 50 mn

Platonov s’enfonce dans la nuit, et dans ses contradictions. Il retrouve Issak, entre eux, une scène crue, faite de ressentiments et de rires amers. Ils s’aiment autant qu’ils se détestent, comme deux reflets déformés d’un même échec. Les mots sont des armes, les silences des chutes. Rien n’est résolu, mais tout est dit. Platonov, de plus en plus instable, vacille entre cynisme et douleur. Un feu intérieur le consume, et personne ne semble pouvoir l’éteindre.

18h40 – épisode 5 
J’y vais ou j’y vais pas ? Début d’une chanson interminable.
Durée 45 mn

Les enjeux deviennent enjeux de pouvoirs: qui sera dominant, qui sera dominé qui 
sera soumis ? Sacha, l’épouse de Platonov, l’aime encore malgré tout. Elle voit ce qu’il devient, ce qu’il refuse d’être. Elle assiste impuissante à son effondrement moral. Autour d’elle, les intrigues se resserrent, les vérités éclatent. Abram décide de récupérer ce qui lui appartient : le domaine de Voïnitsevka. Et quand Sofia semble céder au vertige d’un amour interdit, Sacha ne voit plus d’issue. Le drame se noue. Platonov fait 3 promesses, il ne pourra en tenir qu’une seule: ira t-il rejoindre Sofia, Sacha ou Anna ?

20h45 – épisode 6
Partons chercher le bonheur. 
Durée 45 mn

Tout devient flou, onirique. Les scènes s’enchaînent comme dans un rêve délirant. Platonov erre dans sa propre vie, croisant des fantômes de choix qu’il n’a pas faits. Sofia, Anna, Issak… tous semblent jouer un rôle dans cette comédie absurde dont il a perdu le scénario. Pendant ce temps, Kirill et Glagoliev annoncent leur départ pour Paris : le monde continue, l’exil est encore une option pour ceux qui peuvent fuir. Platonov, lui, reste figé dans l’irréel.

21h50 – épisode 7
Fin de saison : enterrer les morts et réparer les vivants. 
Durée 45 mn

La chute est inévitable. Le domaine est vendu. Les décisions tardives, les blessures jamais guéries, les mots trop tranchants. Sofia revient vers Platonov, puis s’éloigne. Sacha aussi. Anna, détruite, n’existe plus vraiment. Un coup de feu, un effondrement. Quand le rideau tombe, l’été est fini. Et le monde n’a plus de rêveurs.


Texte Anton Tchekhov
Mise en scène Yuming Hey

Avec Chloé Angevin, Marie Bucher, Marion De Schrooder, Eden Ducourant, Thomas Dutay, Léo Gardy, Léo Gruiec, Manon Guilluy, Yuming Hey, Élie Montane, Rose Xanh Nguyen Tiet-Millot et Gilles Nicolas 

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David Rofé-Sarfati
David Rofé-Sarfati est Psychanalyste, membre praticien d'Espace Analytique. Il se passionne pour le théâtre et anime un collectif de psychanalystes autour de l'art dramatique www.LautreScene.org. Il est membre de l'APCTMD, association de la Critique, collège Théâtre.

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