
“Angelo, tyran de Padoue” la mise en scène passionnante de Julien Koselek
Le théâtre de “L’étoile du Nord” accueille jusqu’au 14 juillet dans le cadre du festival “On n’arrête pas le théâtre” , la très attachante mise en scène de Julien Kosellek, du drame en prose hugolien “Angelo, tyran de Padoue”. Plongée littérale dans un univers où s’entremêlent avec élan et humeur, soul et injustice sociale, diva épouvantée et caïd ivre. Un mélange des plus séduisants.
Padoue tremble sous les pas de son Podesta. Tyran tyrannisé, Angelo se confesse à sa maîtresse, la comédienne Tisbe (déchirante Laura Clauzel) des sbires de Venise, de sa femme qu’il jalouse sans l’aimer. Éperdument éprise de son Rodolfo, Tisbe se laisse compter fleurette de peur de voir sa tête entre les pieds d’Angelo, ivre de vengeance et de haine. Comme par un effet domino étrange et envoûtant, on découvre que le Rodolfo a lui même sa belle, que l’épouvante, ou la peut-être “la pitié dangereuse”, pour reprendre le titre de Stefan Zweig, l’amène à se laisser aimer sans un mot. Ainsi se tisse le début d’un imbroglio des plus mouvementés, passionnel et secoué d’innombrables soubresauts, que redore une mise en scène passionnante.
Une diva “empailletée”, grossièrement recouverte d’un manteau de faux vison, la main sur un piano, nous accueille de sa voix à la fois langoureuse et piquante reprenant “It is a man world”. On craint déjà le pire lorsqu’elle est rejointe par un Angelo, costard noir, nœud papillon dégrafé, et basket d’un blanc claquant. Mais très vite, nos yeux s’illuminent devant une interprétation touchante, ou le tyran, n’est autre qu’un mafieux torturé, sa maîtresse, une comédienne, aux prises avec une réalité intemporelle, celle de la condition féminine. Les sbires ne sont autres que des caïds revanchards. L’idée peut sembler réductrice, loin des élans emphatiques mais elle répond surtout à l’impératif hugolien, de mélange des tons et des genres, d’art total, miroir sans prétention d’une société hétéroclite. Sans pour autant verser dans un réalisme trop sentimental, la pièce se sert de ses costumes pour revêtir le drame parfois ampoulé d’une actualité qui se fait dès lors indubitable.
Les éclats de rire, et les moments de peine sincère envahissent tour à tour la salle, attendrie par un jeu des plus remuants, de la belle et navrante Viktoria Kozlova, dans la robe de la tant convoitée Catharina, ou de l’indomptable et transperçante Laura Clauzel, qui a su rendre grâce et justice aux sublimes rôles féminins hugoliens. La prose passionnée, entrecoupée de morceaux de musique soul, résonne dans la salle, dont l’attention silencieuse contraste le dynamisme bruyant et survolté de la scène, de la salle tout entière investie de toutes parts par la petite troupe inépuisable.
Une mise en scène attachante qui se veut une déclaration d’amour attendrissante, à la musique populaire et aux femmes, à leur fragilité et à leur courage, dont le créateur Julien Kosellek semble partager plus d’une passion avec Hugo, dont le texte parfois affadi, retrouve une nature vibrante et touchante.
Visuel:(c) photos Fatima-Ezzahrae Touilila