
« Le grand théâtre de l’épidémie » de Christophe Barbier, au Poche Montparnasse
A l’ère du coronavirus, Christophe Barbier s’intéresse au rôle des épidémies au théâtre. De Sophocle à Camus en passant par Shakespeare et Ionesco, la peste est partout, faisant écho à la crise sanitaire de notre époque. C’est instructif, captivant et tellement d’actualité !
« De même que la peste, le théâtre est fait pour vider collectivement des abcès. » Antonin Artaud
Au théâtre de Poche, dans la salle du bas, comme dans tous les théâtres en cette période « covidée », on entre masqué et les mains aseptisées. Certains sièges sont laissés libres pour espacer les groupes et la placeuse nous indique en début de représentation, à la manière des hôtesses de l’air avant le décollage, la bonne conduite à suivre avec le masque qui doit être placé bien au-dessus du nez et sous le menton. Sommes-nous déjà dans la pièce puisque c’est LE SUJET du moment et de la représentation ? Presque…
Deux comédiens (Sylvain Katan et Pierre Val) déguisés en médecins ventripotents, affublés de longues robes noires et parés de ces masques typiques aux longs nez de la Commedia dell’ arte, entrent simultanément en scène et s’adressent au public en français et en italien. On change d’époque et de costumes mais le discours est pratiquement le même qu’aujourd’hui sur BFM : l’épidémie est là, la peur de la mort quasiment omniprésente et l’humanité entière s’interroge sur sa condition.
Depuis toujours, la maladie inspire les dramaturges et les pièces imprégnées de miasmes morbides et autres réjouissances moribondes abondent : dans Œdipe Roi, (Sophocle, 429 av J.C.), c’est à cause de la peste envoyée par Apollon qu’Œdipe est rattrapé par son tragique destin. Dans l’Etat de siège (1948), Camus dénonce les totalitarismes par l’instrumentalisation de la peur et c’est bien la peste personnifiée sous les traits d’un jeune opportuniste qui prend le pouvoir. Dans Rhinocéros (1959), Ionesco nous parle de « rhinocérite », cette épidémie imaginaire qui transforme tous les habitants d’une ville en rhinocéros.
Il évoque dans Jeux de massacre (1970) un mal inconnu qui s’abat d’un coup et sans raison apparente, où il observe « une progression géométrique de la mort ». Roméo et Juliette (Shakespeare, 1597) connaissent une fin dramatique à cause de la peste, empêchant le message d’un frère Jean confiné, d’arriver jusqu’à Roméo qui ne saura jamais que Juliette n’était qu’endormie…
Passionné de théâtre et de politique, Christophe Barbier s’attaque ici à un sujet universel, individuel et collectif. Privé de la scène pendant le confinement, cela lui donne l’idée de nous faire voyager au travers de chefs-d’oeuvres choisis, illustrant la thématique « théâtre et épidémie ».
A la fois auteur, metteur en scène et acteur, il nous conte une certaine histoire du théâtre via le prisme pandémique, dont les extraits de pièces seront joués par deux trublions inspirés. Au-delà d’une épidémiologie théâtrale mettant en perspective la Covid19, sorte de « covida dell’ arte », le spectacle invite à lire ou relire les œuvres citées, ainsi qu’à une réflexion sur notre époque, au regard de notre passé depuis l’Antiquité.
Etre ou ne pas être valétudinaire… là est la question ?
Visuels : affiche et (c) Alejandro Guerrero Le grand théâtre de l’épidémie De et avec Christophe Barbier Au Théâtre de Poche Montparnasse Depuis le 8 septembre 2020 Durée : 1h15