Essais
Le Buveur de Brume, Guillaume Gallienne : ce que l’héritage familial nous enseigne!

Le Buveur de Brume, Guillaume Gallienne : ce que l’héritage familial nous enseigne!

19 June 2025 | PAR Jean-Christophe Mary

Créée en 2019 par les éditions Stock, la collection Ma nuit au musée propose à des auteurs de passer une nuit entière dans un musée de leur choix. De ces nuits naissent des textes surprenants, poétiques et passionnants qui permettent des explorations sur des territoires différents, des réflexions philosophiques, esthétiques, sociologiques, de la pure création littéraire. Avant lui, Kamel Daoud, Lola Lafon, Leïla Slimani s’y sont illustrés, Christine Angot étant la dernière parution, en mars dernier. Pour Le Buveur de Brume, l’acteur et sociétaire de la Comédie-Française s’est prêté à cet exercice d’introspection esthétique et nocturne à la Galerie Nationale de Tbilissi en Géorgie.

Avec « Le Buveur de Brume », Guillaume Gallienne livre un récit d’une rare délicatesse où l’intime épouse l’Histoire, et où l’art devient le prisme d’une quête identitaire à la fois poétique et réparatrice. Le comédien choisit le Musée national de Tbilissi, en Géorgie. Il veut passer la nuit sous le portrait de son arrière-grand-mère, la princesse Mélita Cholokachvili. Mais à son arrivée, le tableau a été déplacé au Musée national à quelques rues de là. Un lieu sans âme, gardé par trois vigiles silencieux. Cette contrariété devient le point de départ d’une introspection vertigineuse. Seul sur son lit de camp, la frustration monte peu à peu jusqu’à un « pétage de plomb » qui va conduire le projet d’écriture dans une autre direction. A défaut d’être un simple journal de résidence, Le Buveur de Brume déploie un récit sensible, qui entrelace les fils d’une mémoire familiale, les tourments d’un héritage géorgien et les questions existentielles d’un homme en quête d’apaisement. Tout commence par une image : le portrait de son arrière-grand-mère, la princesse Melita Cholokachvili — Babou. Ce tableau, à lui seul, devient une clef : celle qui ouvre les portes non pas du musée musée, mais d’un pan refoulé de son histoire. Pourtant, rien ne se passe comme prévu dans cette « nuit au musée », car la confrontation avec les souvenirs n’obéit à aucun protocole. Elle exige, au contraire, un abandon, une mise à nu. De cette déstabilisation naît le texte. L’écriture s’impose alors comme un recours, une manière de canaliser la colère, d’apprivoiser les fantômes du passé, de comprendre ce qui, en nous, persiste malgré le temps. Gallienne raconte avec pudeur la lignée aristocratique dont il est issu, mais aussi l’exil, les silences familiaux, et surtout, cette double filiation — géorgienne et française — qui fonde une identité fragmentée. Aux figures tutélaires de Babou et de Caï, sa grand-mère, il rend un hommage émouvant, tout en faisant entendre les résonances intimes que ces figures éveillent en lui. Mais Le Buveur de Brume est plus qu’un simple récit de filiation. Il est aussi une méditation sur l’art, sur sa fonction réparatrice et salvatrice. Gallienne, sans emphase, interroge son métier de comédien — cet « engagement de vingt-cinq ans à la Comédie-Française » — non comme une vocation, mais comme une nécessité. L’enfant rêveur, maladroit face au réel, a trouvé dans la scène un refuge ; l’adulte, désormais, tente de comprendre ce qui s’est joué dans cette transposition. Écrit à l’adresse de son fils, Tado, le livre prend les allures d’une lettre posthume aux vivants. Le style, fluide, sans affèterie, touche par sa sincérité. Il conjugue le goût de la formule juste à une pudeur toute classique, comme s’il s’agissait moins de dire que de transmettre. Le lecteur y trouve une confidence sans pathos, un récit d’enfance, une traversée du deuil et, surtout, une manière d’envisager la mémoire comme une matière vivante. Dans cette collection littéraire initiée par les éditions Stock — Ma nuit au musée —, Le Buveur de Brume se distingue par sa densité émotionnelle et sa hauteur de ton. Il n’est pas seulement question d’une nuit à Tbilissi, mais d’un chemin vers soi, d’un dialogue avec les absents et d’une tentative, presque rituelle, de réconcilier l’héritage et le présent. Guillaume Gallienne signe ici un premier texte d’une justesse rare. Un livre grave et lumineux, à l’image de ce brumeux passé qu’il s’agit, enfin, de regarder en face. Une belle découverte.

 Jean-Christophe Mary

Editeur Stock. Collection Ma Nuit Au Musée. 288 pages.

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