
Stereophonics “Make ‘em Laugh, Make ‘em Cry, Make ‘em Wait Out”: le temps de la maturité désenchantée !
Vingt-sept ans après leurs débuts tonitruants avec Word Gets Around, les Gallois font leur grand retour avec Make ‘em Laugh, Make ‘em Cry, Make ‘em Wait Out, un album mature entre ballades épurées à la mélancolie discrète et rock contenu.
Depuis une bonne trentaine d’année maintenant, les Stereophonics tracent leur route à contre-courant des modes, portés par une fidélité sans faille à leur style singulier, soit un rock mélodique, volontiers rugueux, enraciné dans le quotidien de leur Pays de Galles natal. Formé en 1992 à Cwmaman, un ancien village minier, le groupe s’est rapidement imposé comme l’un des porte-voix les plus singuliers de la scène britannique post-britpop, aux côtés d’Oasis, Blur ouTravis. La voix rocailleuse de Kelly Jones, auteur-compositeur-interprète incarne une certaine tradition populaire, parfois nostalgique, toujours sincère. Révélés au grand public avec l’album Performance and Cocktails (1999) et propulsés au sommet avec Dakota en 2005, les chansons des Stereophonics ont su traverser le temps avec une certaine constance, portés des guitares claires, aux refrains accrocheurs et une écriture narrative, presque cinématographique. Avec Make ‘em Laugh, Make ‘em Cry, Make ‘em Wait Out, paru le 25 avril, les Stereophonics signent un retour élégant, fidèle à leur style. Loin des courants et des modes, le groupe de Kelly Jones poursuit son parcours et livre ici un disque concis, de huit titres, où chaque chanson semble trouver naturellement sa place. Le morceau d’ouverture, Make It on Your Own donne le ton. Avec cette ballade pop rock, Kelly Jones plante le décor : celui d’un monde intérieur où l’autonomie est une nécessité douloureuse. Reconnaissable entre mille, la voix rauque et éraillée s’appuie sur une instrumentation épurée, rehaussée de nappes de violons dans les refrains. There’s Always Gonna Be Something prolonge cette impression de douce fatalité. Portée par un riff rock entêtant, la chanson décline les petits tracas du quotidien avec une précision d’orfèvre. Rythmique posée, guitares discrètes, l’arrangement est sobre, presque minimaliste, pour mieux laisser la place à l’émotion. Là encore c’est la voix et la qualité de l’interprétation qui donne toute sa force à l’ensemble. Avec Seems Like You Don’t Know Me, le le ton devient plus amer. Avec son tempo ralenti, cette ballade évoque la fracture lente de relations que l’on croyait pourtant inoxydables. La mélodie s’installe lentement, la guitare se fait mordante, tandis que la batterie en fond maintient une sourde tension. Puis vient Colours of October, sommet poétique de l’album. D’une beauté délicate, les nappes de claviers et les guitares en delay créent une ambiance feutrée, presque impressionniste. La voix y flotte, presque spectrale, comme une sorte de méditation sur la mémoire et les saisons. L’automne devient ici une métaphore de l’usure, de la mémoire et du passage du temps. Le titre rappelle par instants les errances élégiaques de Radiohead ou les balades automnales de The National. Changement de registre avec Eyes Too Big for My Belly, titre nerveux et efficace qui penser à Led Zeppelin. Ici, le ton se durcit, la guitare rock blues se fait plus mordante, plus tranchante plus incisive dans cet album majoritairement tourné vers l’introspection. Mary Is a Singer renoue avec l’héritage soul-folk du groupe. Dédiée à une chanteuse oubliée ? (ou peut-être fantasmée ?), la chanson évoque la fragilité des artistes face à l’usure du monde du spectacle. Le refrain touche par sa sincérité, tandis que les chœurs en arrière-plan donnent une profondeur inattendue au morceau. Ce morceau acoustique séduit par sa sincérité et sa simplicité. La voix de Kelly Jones y gagne en douceur, presque en tendresse. Avec Backroom Boys, Stereophonics s’aventure sur un terrain plus politique. Le texte, elliptique mais engagé, évoque les coulisses du pouvoir, ces forces invisibles où les hommes de l’ombre tirent les ficelles et orientent les décisions. Guitares doucement saturées, basse bondissante, c’est l’un des morceaux les plus sombres du disque, qui rappelle le folk rock contestataire et engagé des débuts. Enfin, Feeling of Falling We Crave clôt l’album avec élégance. Un morceau aux images cinématographiques, mélancolique, aérien, introspectif, qui parle de chute sans drame, d’abandon sans désespoir. Le chant y est plus fragile presque contenu porté par une guitare steel de toute beauté. Le dernier accord suspendu laisse place au silence, comme une invitation à y replonger. Avec Make ‘em Laugh, Make ‘em Cry, Make ‘em Wait Out, les Stereophonics signent un disque certes moins flamboyant mais infiniment plus habité, plus profond. Un album soigné, porté par une écriture sensible et une production sans ostentation qui ne cherche plus à séduire à tout prix, mais à rester. Et c’est peut-être là sa plus grande réussite. La marque d’un groupe qui, loin de l’agitation médiatique, continue d’exister avec justesse et dignité.
Jean-Christophe Mary
« Make ‘em Laugh, Make ‘em Cry, Make ‘em Wait out » (Universal)
1 -Make It on Your Own
2 -There’s Always Gonna Be Something
3 -Seems Like You Don’t Know Me
4 -Colours of October
5 -Eyes Too Big for My Belly
6 -Mary Is a Singer
7 -Backroom Boys
8 -Feeling of Falling We Crave