Jean Guidoni “Y’a un climat” Coffret 5 CD (1977-2022) : retour sur une légende de la chanson française !
Icône singulière de la chanson française Jean Guidoni dévoile un coffret riche de 94 titres retraçant quatre décennies d’une oeuvre intense, poétique et souvent dérangeante. Des débuts provocateurs aux confidences plus intimes, un voyage musical en clair-obscur.
Jean Guidoni est un artiste à part dans le paysage de la chanson française. Héritier des grandes traditions du cabaret et du théâtre musical, il a su, au fil de cinq décennies, bâtir une œuvre singulière, dense et poétique. Ses chansons sont autant de tableaux où se mêlent nostalgie, mélancolie et regard acéré sur le monde qui l’entoure. À travers 94 titres emblématiques, ce coffret nous offre une traversée saisissante des lieux et des âmes, une odyssée entre l’ombre et la lumière. C’est en 1977 que Jean Guidoni fait ses premiers pas sur la scène musicale avec son premier album éponyme, réédité l’année suivante. Dès ses débuts, il se distingue par une voix puissante et une sensibilité à fleur de peau. Des titres, tels que «Le Têtard” signé Jacques Lanzmann ou “Nana” qui aborde le thème de la prostitution, révèlent son talent pour évoquer des émotions profondes et des histoires touchantes. Au fil des années 80, le chanteur sortira plusieurs albums devenus aujourd’hui des références dans le paysage musical. Parmi eux, « Je marche dans les villes » (1980) contient des chansons emblématiques telles ce « Midi Minuit » qui nous plonge dans l’univers glauque des cinémas pornographiques peuplés de solitaires et de marginaux, « Djemila » une chanson d’amour inspirée par le mannequin Djemila Khelfa qui travaillait à l’époque pour le magazine Façade ou encore chez « Chez Guitte ». Dans ce titre, Guidoni dresse le portrait sensible d’un bistrot mal famé de Montmartre tenu par la chanteuse Jo Vanna, un espace clos où les solitudes se rencontrent. L’interprétation subtile du chanteur, portée par une orchestration feutrée, confère à cette chanson une intensité troublante. L’album suivant « Crime Passionnel » (1982) est des disques qui s’écoutent comme on lirait un carnet de confessions interdites où chaque morceau est un chapitre, une scène, une chambre close d’où s’échappent les parfums fauves de la transgression. Ce concept album est un huis clos dont le décor est une simple chambre dans laquelle va éclater un drame dû à la jalousie. L’unique personnage de cet opéra est confronté successivement à la solitude “Le haut mur “et “Masque noir” , la passion amoureuse “Coups de cœur”, la jalousie “Solo”, la violence criminelle “Qui crie ?” et “Lames”, la fascination morbide devant le cadavre de l’être aimé “Fleurs fanées”et la plongée dans la folie “Mandat d’amener”. Cet album décrit un mur, invisible mais omniprésent, est celui que la société dresse entre les « normaux » et ceux qui vivent dans les marges. Guidoni y chante l’enfermement avec une retenue bouleversante. La voix, presque nue, épouse la lenteur du piano comme un prisonnier apprivoise le silence de sa cellule. C’est une chanson qui ne crie pas — elle murmure, elle pèse. Le texte est d’une précision glaçante : « Derrière le haut mur / On oublie les heures… » Une œuvre d’une rare intensité, qui dit sans pathos l’abandon des êtres « à part ». En 1985, le chanteur sort « Putains », un projet qui comme son nom l’indique s’articule autour du thème de la prostitution. Avec des titres comme « Tous des putains » ( musique cosignée Alain Bashung – Thierry Matioszek), « Eros Palace » qui évoque ce couple faisant l’amour en public dans un peep-show, “Drugstore 18 heures “qui montre lui le rapport de force inégal entre un jeune prostitué affamé, et un client qui cherche à négocier à la baisse le tarif de la passe ou encore «Les fantômes de Marseille ” qui revient sur son passé , lorsqu’il travaillait auprès de clientes prostituées dans son salon de coiffure, Guidoni explore des sonorités nouvelles tout en conservant son identité artistique. Cet album est souvent considéré comme un tournant dans sa carrière, lui permettant de s’imposer comme une voix incontournable de la chanson française. Un de ses autres albums majeurs restera pour longtemps « Tigre de Porcelaine »(1987). Parmi ses chansons les plus marquantes, “Tramway Terminus Nord” qui évoque les amours sans lendemain, les attentes prolongées, les silhouettes qui disparaissent sans explication, « Mort à Venise » qui emprunte ici autant à Visconti qu’à Thomas Mann, mais en détourne le faste pour mieux s’enfoncer dans la chair des désirs inavoués. « Midi sans soleil » avec sa musique, aux accents méditerranéens ralentis, soutient une impression d’attente inutile, de désir asséché. On pense à Camus, à la mer qui ne rafraîchit rien. On oublie pas « Dakota Central Park West »complainte hantée autour de cet immeuble mythique où vécut John Lennon, qui devient ici mausolée du rock, une sorte de rêve américain éventré, souillé par la violence. En un demi-siècle de carrière, Jean Guidoni aura su tisser des liens forts avec son public, grâce à des concerts mémorables et une présence scénique inoubliable. Sa capacité à raconter des histoires à travers sa musique a fait de lui un artiste rare, respecté et aimé qui a toujours su allier exigence musicale et puissance évocatrice. Ce coffret de 94 chansons offre une lecture sensible du monde, entre réalisme et onirisme, entre douleur et espoir. On vous le dit et on vous le redit : Jean Guidoni s’inscrit dans la lignée des grands interprètes capables de faire vibrer les mots et les âmes, avec une intensité qui ne laisse jamais indifférent. A bon entendeur …
Jean-Christophe Mary
Y’a Un Climat…5 CD-94 Titres ( Polydor/EPM/ Universal)
