Théâtre
Les Oubliés Alger-Paris au Théâtre du Vieux-Colombier

Les Oubliés Alger-Paris au Théâtre du Vieux-Colombier

27 January 2019 | PAR David Rofé-Sarfati

Les Oubliés, ce sont nous tous impactés de prés ou de loin par le processus sans fin et chaotique de l’indépendance de l’Algérie.  Dans la  seconde salle de la Comédie Française, rue du Vieux Colombier, Julie Bertin et Jade Herbulot en proposent un récit mosaïque dans une splendide scénographie.

Tout commence par un mariage, celui d’Alice et de Karim, un de ces mariages réputés mixtes où souvent les non dits se chuchotent et où l’indispensable injonction du vivre ensemble s’allie à l’obligation du bonheur le jour des noces pour se dérober aux affres de cette peur de l’autre qui depuis longtemps s’est inscrit dans les consciences de part et d’autre de la Méditerranée.  Une frontière invisible parcourt l’espace, la frontière fantôme entre deux peuples qui ont dû en passer par une guerre pour se séparer, sans jamais y parvenir totalement et qui partagent désormais une même histoire cependant que racontée différemment. De ce divorce reste une nervosité. Dans la salle de cérémonies de la mairie du 18e arrondissement, ces deux oppositions s’épousent. Le dispositif scénique en bi frontal  où l’un des deux alignement de fauteuils  figure les invités de la cérémonie nuptiale appuie le trait et du clivage et de sa soudure. L’ambiance est à la fête et à la fraternité. Le joint menace de rompre à tout moment. Hors champ, une captation vidéo en direct recueille aux lavabos les atermoiements individuels de chaque personnage.

Le mariage républicain est une solennité et la République s’y veut puissante à fabriquer la pacification des esprits. Elle autorise à l’ordinaire la petite histoire des gens  à advenir sans tracas enjambant la grande Histoire des rapports France Algérie. Mais ici la salle de mariage est hantée par un meuble, celui de la réplique du bureau du Général de Gaulle. Alors à la façon de Festen, l’édifice craque. A la faveur de la scénographie nous voyagerons dans le temps pour rejoindre  le cabinet du général et ses conversations avec Michel Debré. La chronique nuptiale se transformera en une leçon d’histoire in vivo qui doit tout à ses comédiens hors pair. Notamment, Bruno Raffaelli qui compose le père de la mariée dans les tableaux de 2019, interprète un admirable Général de Gaulle dans les tableaux de 1958. À chaque fois il est phénoménal de justesse et d’inventivité. Jerome Pouly au meilleur de son talent, interprète le cousin de la mariée qui a découvert le secret de famille, il y est bouleversant.

Le sujet est périlleux et devant ces périls, le texte choisit la caricature.  On ne dit pas l’épineux tiraillement du Général de Gaulle, sauf à le décrire comme un vieux monsieur irascible qui parfois ne sait pas ce qu’il dit, on ne dit pas -le marié Karim se déclare non musulman-   la difficulté des enfants de couples mixtes tiraillés entre deux religions, on ne dit pas la tristesse des pieds noirs trahis par l’état français sauf sous forme de rancœurs racistes, on ne veut pas dire non plus  la fortuite fortune des Juifs d’Algérie sauvés par la magie du Décret Crémieux de 1870 du sort de leur coreligionnaires contraint à un tout autre exil par les  autres pays arabes. On évite par la caricature de prendre position. Le propos se veut épais et  la psychologisation innocente. Le marié Karim, fils d’une algérien communiste et d’une  Française est un personnage hybride mais consensuel, aussi gêné d’être mi-arabe que d’être mi-français. La mariée comprend la raison de ses vertiges dans un ravissement improbable dès qu’elle apprend que son grand-père était dans l’OAS. La mère  (éblouissante Danièle Lebrun) est un santon ravi: ancienne militante PCF mariée par conviction politique à un Algérien, elle déploie un discours aussi exemplaire que simpliste. Quant au père de la mariée, caricature du raciste,  il est un viticulteur franchouillard. 

Ainsi devant l’abstrusion du sujet, le texte ne fait pas dans la dentelle. La pièce inaugure une autorisation à ne plus escamoter cet épisode de l’histoire de France en voulant étrangement l’intriquer dans l’avénement de la cinquième république. Elle se transforme en un conte parabole à la Hergé pour enfants. Le dispositif scénique judicieux et le brio des comédiens-français composent  un spectacle éducatif simpliste mais plaisant.

 

LES OUBLIÉS (ALGER-PARIS)
Texte et mise en scène
Julie Bertin et Jade Herbulot – Le Birgit Ensemble

Le Théâtre du Vieux-Colombier

Crédit Photos ©Christophe Raynaud de Lage, coll.CF.

Infos pratiques

Atelier Paul Flury
La Jetée
Christophe Candoni
Christophe est né le 10 mai 1986. Lors de ses études de lettres modernes pendant cinq ans à l’Université d’Amiens, il a validé deux mémoires sur le théâtre de Bernard-Marie Koltès et de Paul Claudel. Actuellement, Christophe Candoni s'apprête à présenter un nouveau master dans les études théâtrales à la Sorbonne Nouvelle (Paris III). Spectateur enthousiaste, curieux et critique, il s’intéresse particulièrement à la mise en scène contemporaine européenne (Warlikowski, Ostermeier…), au théâtre classique et contemporain, au jeu de l’acteur. Il a fait de la musique (pratique le violon) et du théâtre amateur. Ses goûts le portent vers la littérature, l’opéra, et l’Italie.

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